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monopole et un privilège, à l’instar de celle qui est accordée aux syndicats ouvriers, mais la liberté pure et simple, aux mêmes conditions que les autres citoyens. Catholiques, chrétiens, il faut que nous ayons le courage de nous en rendre compte et d’envisager virilement cette situation nouvelle : le temps des monopoles et des privilèges sera bientôt passé pour nous, le temps même des protections onéreuses qui coûtent en dignité plus qu’elles ne rapportent en profits. La seule chose que nous ayons désormais intérêt à demander et surtout chance d’obtenir, c’est le droit commun dans la liberté, et c’est par la liberté de la charité qu’il nous faut commencer. Or l’association est la forme nécessaire de la charité. C’est donc la liberté d’association qu’il nous faut d’abord réclamer : non pas une liberté étroite et mesquine, distribuée d’une main avare, mais une liberté large et hardie, exempte de restrictions capricieuses et arbitraires, telle qu’elle existe dans la monarchique Angleterre, dans la républicaine Amérique, dans la démocratique Belgique. Il ne faut pas nous laisser dire plus longtemps que ce qui est possible dans les pays et sous les régimes les plus différens est impossible chez nous. Les ouvriers ont obtenu cette liberté; pourquoi les chrétiens ne l’obtiendraient-ils pas, et quel est cet étrange régime qui un siècle après 1789 voudrait rétablir des catégories de privilégiés? Quand par la liberté d’association la liberté de la charité aura été conquise, du même coup un grand pas aura été fait, un grand résultat aura été obtenu, et le remède le plus efficace aux souffrances sociales aura été préparé. On me permettra de regretter que depuis vingt ans beaucoup de talent, de bonnes volontés et d’efforts se soient dépensés à la poursuite de conceptions chimériques ou de réglementations périlleuses au lieu de réclamer avec une énergie incessante la liberté de la charité.


II.

Pour que la charité privée remplisse la plénitude de son devoir social, la liberté ne suffit pas. L’écueil de la liberté, c’est le désordre. Il faut donc que la charité apprenne à se gouverner elle-même. Pour parler en termes moins ambitieux et plus pratiques, il faut que la charité privée, tout en conservant la spontanéité qui fait sa force, s’astreigne cependant à l’entente et à l’organisation.

L’idée que la charité privée puisse être organisée est une idée tout à fait nouvelle en France, et sous ce rapport nous nous sommes laissé devancer par l’étranger. Pour ne parler que de