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des malfaiteurs et nous tombons sous le coup de la loi. Ainsi le veut l’article 291 du Code pénal que nous devons aux jurisconsultes du premier Empire, dignes héritiers des législateurs de la Convention, mais que tous les régimes successifs se sont soigneusement transmis : Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s’occuper d’objets religieux, politiques, littéraires ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société. On voit qu’aucune exception n’est faite, et que dès son premier pas, la charité vient se heurter contre le Code.

Je dis dès son premier pas. En effet la charité privée ne saurait vivre sans l’association. Que faut-il pour l’exercice efficace, habituel, constant de la charité? Deux choses : le temps et l’argent. Or souvent il arrive que ceux qui ont le temps n’ont pas l’argent, et que ceux qui ont l’argent n’ont pas le temps. S’il n’est pas permis à ceux qui ont le temps de se mettre à la disposition de ceux qui ont l’argent, et si leur association devient un délit, l’action de la charité est paralysée. A chaque page de ces manuels dont je parlais tout à l’heure on lit ces mots : Société pour... L’association est donc la vie de la charité. Or tel est présentement en France l’état de notre droit public, que la première question que doivent se poser les membres de toute association charitable est celle-ci : faut-il respecter la loi? faut-il la tourner?

Respecter la loi ; cela semble au premier abord ce qu’il y a de plus facile. Qui peut empêcher vingt et un braves gens, ayant envie de s’associer pour faire le bien, de demander au gouvernement l’autorisation nécessaire ? Il leur faut pour cela : 1° adresser une demande sur papier timbré ; 2° arrêter des statuts et en joindre deux exemplaires à leur demande; 3° donner leurs noms, prénoms, qualités et adresses afin que le bureau compétent puisse faire une enquête sur l’honorabilité des pétitionnaires, le but réel qu’ils poursuivent, la convenance du local choisi pour leur réunion. Voilà déjà bien des affaires. Est-ce tout? Non, si l’enquête est favorable, l’autorisation ne sera accordée qu’aux conditions suivantes : 1° soumettre à l’autorisation préalable les modifications qui seraient apportées aux statuts ; 2° faire connaître cinq jours à l’avance au moins le jour et l’heure des réunions générales; 3° n’y admettre que des membres de la société et ne s’y occuper sous quelque prétexte que ce soit d’aucun objet étranger au but indiqué dans les statuts sous peine de suspension ou de dissolution ; 4° adresser à la préfecture chaque année une liste contenant les noms, prénoms, professions et domiciles des sociétaires, et la désignation des