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à la crainte témoignée par quelques bons esprits que le développement de la charité publique ne décourageât la charité privée, si j’y voulais répondre également, je leur demanderais de regarder ce qui se passe en Angleterre, à Londres en particulier, où les trois cent quatre-vingt-une pages du Royal guide to London Charities sont là pour montrer si le développement de la charité privée est ralenti par l’existence de trente workhouses qui ne sont guère en fait que des asiles pour la vieillesse ou des infirmeries. Mais sans compter qu’une aussi grave question mériterait une étude à part, je ne voudrais pas insister outre mesure sur cette organisation de la charité publique. Ce serait donner à croire à mes lecteurs qu’en elle je mets mon principal espoir. Or c’est précisément le contraire de ma pensée. Si je crois à la nécessité de la charité publique, c’est pour parer aux défaillances et aux inégalités de la charité privée qui sont malheureusement incontestables. Mais c’est à la charité privée que doit appartenir le premier et le grand rôle, la charité publique n’intervenant que pour être son auxiliaire ou sa suppléante. On me permettra donc, avant d’en arriver à ce qui aurait dû demeurer le sujet principal de ce travail, c’est à dire à l’étude d’un mode nouveau et spécial d’assistance, de dire un mot de l’organisation de la charité privée.


I.

Que la charité privée soit abondante dans notre pays, cela n’est pas douteux. Quelques auteurs ont entrepris d’évaluer le budget de ses recettes ou de ses dépenses, comme l’on voudra, car dans la matière les deux chapitres se confondent, la charité ne faisant guère d’économies. Ils se sont trouvés pour le faire dans le même embarras que les économistes, lorsqu’ils s’efforcent de chiffrer la fortune de la France. Leurs évaluations diffèrent de plusieurs millions, comme celles des économistes diffèrent de plusieurs milliards. La vérité est qu’ils n’en savent absolument rien, mais ce qui est incontestable c’est la prodigieuse multiplicité des œuvres. Le manuel des œuvres charitables de Paris, qui n’est qu’un dictionnaire, comprend cinq cent quarante-six pages. Plusieurs villes, entre autres Nancy, Marseille, Angers, ont suivi cet exemple et ont publié également un manuel de leurs œuvres d’assistance. Il est à souhaiter que les publications de ce genre se répandent, surtout lorsqu’elles sont accompagnées de documens historiques. On verrait ainsi se créer toute une littérature qui serait fort à l’honneur de notre pays. Il suffit en effet de feuilleter ces manuels pour se rendre compte combien la charité y est active, prévoyante.