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fût, le chiffre des faits d’armes n’égalait pas celui des pertes. C’est la Maison du Roi, infanterie et cavalerie, qui présentait le plus fort contingent de morts et de blessés. Ainsi se trouvaient frappées les familles les plus distinguées de la cour, du parlement, de la ville; le deuil était partout; le retentissement fut grand, et la victoire de Seneffe fut considérée comme une journée néfaste. Mme de Sévigné donne bien le ton : « Nous avons tant perdu à cette victoire que sans le Te Deum et quelques drapeaux portés à Notre-Dame nous croirions avoir perdu le combat.[1] » Et M. le Prince écrivait à Louvois, non sans tristesse : « M. l’intendant vous envoyera demain la liste de tous les officiers que le Roy a perdus. Vous y en trouverez beaucoup, dont j’ay bien de la douleur ; mais en vérité le feu a esté grand et a duré longtemps[2]. »

Il est difficile de fixer le chiffre réel des pertes essuyées par les deux armées. On raconte que les curés du pays prétendaient avoir enterré vingt mille cadavres; c’est une fable. Si l’on fixe à quinze mille le nombre des hommes tués ou blessés et à peu près également répartis entre les deux armées, on sera probablement encore au-dessus de la vérité. Les Français comptaient sept mille hommes hors de combat, tant tués que blessés. Il manquait plus de monde aux alliés, environ douze mille hommes, y compris les prisonniers et les déserteurs[3]. Mais ceux-ci, dès le lendemain de la bataille, s’appliquaient à réparer leurs pertes; au milieu de chefs indécis, d’officiers découragés, la volonté du prince d’Orange s’impose; à force de crier victoire, il réveille quelques illusions, et il arrache de nouveaux sacrifices aux gouvernemens de La Haye et de Bruxelles. De Hollande, cinq régimens marchent sur Mons. L’amiral Ruyter[4] va débarquer les fantassins montés sur ses vaisseaux et leur fera prendre la même route. M. de Monterey promet dix-huit mille hommes, tirés des garnisons espagnoles des Pays-Bas. Dans quelques jours l’effectif réel des alliés, plus fort qu’avant le combat, dépassera soixante mille hommes. L’armée qui se reposait dans les retranchemens du Piéton n’avait à compter que sur elle-même.

  1. Mme de Sévigné à Bussy ; Paris, 5 septembre 1674.
  2. 14 août. A. C. (minute).
  3. C’est l’estimation de M. de Launoy, le secrétaire du prince d’Orange. Diverses circonstances, trop longues à exposer, en confirment l’exactitude.
  4. De Launoy dit Tromp; mais cet amiral était encore en croisière sur les côtes de France et continua ses opérations dans la Méditerranée. On attendait alors Ruyter, qui revenait de sa campagne infructueuse aux Iles du Vent.