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organisé et rôdant sur les frontières du royaume ; un parti catholique au pouvoir et décidé à ne pas s’en laisser déposséder ; un parti protestant, tendant les bras à la Compagnie anglaise, mais compromettant par son impatience : voilà comment se présentait la situation politique de l’Ouganda lorsque, le 14 avril 1890, MM. Jackson et Gedge, agens de l’Ibea, entrèrent dans la capitale. Combien complexe était cette situation! combien il était plus facile aux Belges de franchir les rapides de l’Oubangui qu’aux Anglais de surmonter les obstacles politiques qui les arrêtaient dans leurs progrès vers le Haut-Nil!

M. Jackson proposa à Mouanga de signer un traité par lequel l’Ibea s’engageait, moyennant le droit de lever des impôts, à défendre l’Ouganda et à ouvrir une route jusqu’à la côte; mais l’aversion de Mouanga pour les Anglais, la pression exercée sur lui par le parti catholique l’empêchèrent de se rendre. Il refusa net. M. Jackson partit (14 mai 1890), laissant M. Gedge, son compagnon, travailler l’opinion publique.

Ce fut alors que le capitaine Lugard reçut l’ordre de se rendre dans l’Ouganda. En mettant le pied sur le sol d’Afrique, il avait la ferme intention de faire parler de lui. On sait qu’il a réussi. Il partit convaincu qu’une attitude hautaine ne messied pas à un officier de l’armée de S. M. Britannique, délégué par une grande compagnie à charte auprès d’un roitelet nègre, à moitié sauvage . Le 13 décembre 1890, il arrive dans l’Ouganda, franchit la frontière sans attendre l’autorisation, établit son camp, non dans le bas-fond marécageux qui lui était assigné, mais sur la hauteur de Kampala, face à la colline de Mengo, où s’élève la résidence royale. Il ne sollicite pas une audience, mais informe Mouanga qu’il ait à le recevoir tel jour, à telle heure. Il expose l’objet de sa mission, puis prend congé sans attendre que le roi lève la séance. Lugard piétinait systématiquement sur le cérémonial, ce cérémonial de la cour d’Ouganda, réglé si minutieusement que l’étiquette, observée jadis à l’Escurial et à Versailles, paraît simple en comparaison. Le procédé réussit. Le roi fut tellement interloqué et ému par tant d’audace que, le 26 décembre 1890, il signait le traité qui plaçait l’Ouganda sous le protectorat de l’Ibea[1].

  1. Voici les principales clauses de ce traité : Établissement du protectorat de l’Ibea sur l’Ouganda, Présence permanente auprès du roi d’un agent de la Compagnie anglaise jouissant de pouvoirs très étendus (droit de juger les Européens établis dans le pays, direction de l’armée et des finances de l’Ouganda). Liberté complète des cultes. Engagement pris par la Compagnie de défendre le pays et de pourvoir à son organisation matérielle. On en trouvera le texte intégral dans Stuhlmann, ouvrage cité, p. 157-159.