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enfiler par groupes de cent et d’attribuer à ces chapelets une valeur déterminée. Leur propagande religieuse n’eut, il est vrai, qu’un succès médiocre, la pratique de la circoncision inspirant aux Wagandas une aversion invincible. Mais ils ont imposé à une partie de la population leur langage, le kisuaheli, ce sabir de l’Afrique orientale, mélange de dialectes nègres, d’arabe et d’hindoustani qu’il est de bon ton de parler dans la haute société waganda. Ils ont acquis l’opulence en établissant un trafic régulier entre l’Ouganda et leurs grands entrepôts d’Oujoui et de Tabora. Ils importaient dans le pays des objets manufacturés et en exportaient de l’ivoire et des esclaves, surtout des femmes Wahumas, que la couleur claire de leur peau et la régularité de leur profil font autant priser sur les marchés de l’Afrique orientale, que les Abyssines sur ceux du Soudan.

Ils ont armé de nombreux cliens, et pour tous ces motifs, constituent dans l’Ouganda un parti puissant.

Le séjour que Stanley fit en avril 1875 dans l’Ouganda, prologue de sa dramatique descente du Congo, eut pour conséquence la création d’une mission protestante dans ce pays. Dans des lettres vibrantes et enthousiastes, il pressait quelques-uns de ses compatriotes de se dévouer à l’évangélisation des Wagandas. « Si un véritable missionnaire, pieux et d’esprit pratique, venait ici, quel champ il aurait devant lui! Quelle moisson s’offre à la faucille de la civilisation ! » L’appel de Stanley, reproduit par tous les journaux anglais, émut très vivement l’opinion publique. On conçut l’espérance de conquérir à l’influence morale de la Grande-Bretagne, en attendant mieux, ce royaume d’Ouganda. On ne voulut pas que d’autres que des mains anglaises saisissent le manche de la faucille. Des particuliers offrirent immédiatement à la Church missionary Society de couvrir les frais de création d’une mission. La Société accepta. En mai 1877, quatre missionnaires anglais arrivaient sur la côte sud du lac Victoria. Leurs débuts furent malheureux. L’un d’eux mourut sur les bords du lac; deux furent tués dans un engagement avec des indigènes. Le révérend C. T. Wilson parvint seul au terme du voyage. D’autres volontaires le rejoignirent bientôt, et en particulier l’homme que son application au travail, son courage et sa fermeté de caractère ont fait, de 1878 à 1890, le chef et comme l’âme de la mission : le révérend Mackay.

Les missionnaires anglicans ont exercé sur certains Wagandas une puissante influence. Non seulement ils leur donnaient une instruction religieuse, mais ils leur enseignaient des métiers manuels. Les nouveaux convertis leur étaient si fortement attachés