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existence, ses directeurs eurent à résoudre des questions délicates de nature diplomatique. La convention des 29 octobre-1er novembre 1886 signée entre les gouvernemens de Berlin et de Londres fixait comme limite des zones d’influence allemande et anglaise, une ligne tracée de l’embouchure de la Wanga dans l’océan Indien, à l’intersection de la côte orientale du lac Victoria, avec le premier degré de latitude australe. Mais tous les motifs de conflit n’étaient pas écartés. Les Anglais souffraient impatiemment la présence d’une compagnie commerciale allemande dans le petit sultanat indigène de Vitou et cherchaient le moyen de l’en expulser. Il y avait donc une « question de Vitou ». Le sultan de Zanzibar touchait les recettes d’un fructueux bureau de douane situé dans l’île de Lamou : l’Ibea et la Société allemande de Vitou sollicitaient simultanément du sultan la cession de cette douane moyennant une redevance annuelle. Il y avait donc une « question de Lamou ». Plus au nord, la côte est encore flanquée de deux îles, Manda et Patta. Entre elles et la terre ferme est ménagé un golfe, profond, large, à l’abri des coups de vent, très prisé des hommes de mer. Les amirautés anglaises et allemandes avaient jeté leur dévolu sur ce mouillage. Il y avait donc une « question des îles Manda et Patta ».

De son côté, le gouvernement italien visait l’occupation de certains ports de la côte Somali qui avaient été cédés à l’Ibea par le sultan de Zanzibar. Autres négociations à poursuivre qui aboutirent le 3 avril 1889.

En même temps que les directeurs de l’Ibea négociaient avec les Allemands et les Italiens, ils pourvoyaient à l’aménagement matériel des ports et en particulier de Mombaza. Il fallait construire des maisons et des magasins, des jetées et des débarcadères, tracer des routes, lancer des ponts sur les rivières, bref, munir ce pays neuf de tout cet appareil de civilisation que, l’habitude aidant, nous sommes presque tentés de croire né spontanément sur le globe et dont un long usage nous porte à méconnaître l’immense valeur.

En dépit de ces préoccupations, les directeurs de l’Ibea ne cessaient de penser à la pénétration dans l’intérieur du continent. Leurs yeux se portaient bien au delà de l’horizon borné de la côte. Déjà des expéditions s’étaient avancées le long des fleuves Sabaki et Tana. A partir de 1889, des efforts persévérans sont tentés en vue d’un établissement définitif dans l’hinterland.

On a vu que les Belges, pour progresser sur le Haut-Nil, avaient eu à vaincre des difficultés d’ordre pour ainsi dire géographique. Ils avançaient à tâtons dans les ténèbres de l’Afrique.