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la route de Haine-Saint-Pierre, tiennent l’église et une partie du village de Fayt.

Un écart de deux cents mètres environ séparait les deux fronts. Tant que brilla la lune, le feu continua mollement, sans aucune tentative offensive d’une part ni de l’autre. Puis les hommes, accablés de fatigue, s’endormirent sur place, leurs armes dans les bras, à peine gardés par quelques sentinelles, mais prêts à recommencer cette lutte terrible après quelques heures de repos. C’était bien la pensée de M. le Prince, qui, lui aussi, roulé dans un manteau, s’était endormi dans un buisson à La Basse-Hestre. — On montrait encore récemment l’Épine du Prince. — Il était venu là, à la gauche de son armée, pour soutenir le duc de Navailles, et c’est par là maintenant qu’il espérait reprendre l’offensive au petit jour, comptant sur l’arrivée prochaine de son artillerie et de l’infanterie que lui amenait Magalotti. Il rêvait d’une nouvelle bataille, lorsqu’il fut réveillé par le bruit retentissant d’une fusillade générale.


VIII. — ALERTE DE NUIT. AU JOUR, LES DEUX ARMÉES ONT DISPARU.

Des deux parts on tirait follement, comme toujours dans les alertes de nuit; mais les premiers feux d’ensemble paraissent être partis de la ligne des alliés, qui voulaient ainsi assurer leur retraite, ou plutôt essayer d’en changer le caractère, lui donner l’allure d’une marche en avant, comme si, après le combat, ils continuaient de pousser vers l’étape désignée la veille et où déjà les Impériaux étaient attendus par leurs bagages. L’artillerie passa la première. Toutes les autres voitures étant perdues, la route ne se trouvait guère encombrée; l’infanterie et la cavalerie suivirent assez vite. La marche ne fut nullement inquiétée. Un cordon de troupes légères était resté en position au sud-est de Fayt, rangé derrière les haies et les vergers, pour donner l’alarme au cas d’une reprise d’offensive des Français.

Nul bruit ne troubla la fin de la nuit. Au petit jour, un des officiers de cette arrière-garde s’avisa de regarder par un trou dans une haie. Aucune troupe française n’était en vue. L’officier appela son chef, M. de Chavagnac. Tous deux ensemble passèrent la haie et se trouvèrent dans un pré, où, pêle-mêle avec les cadavres, gisaient de nombreux blessés, qui aussitôt se dressèrent, et, parlant dans toutes les langues, demandèrent qui un chirurgien, qui un confesseur. Chavagnac leur promit d’envoyer un trompette pour les recommander à M. le Prince, et piqua au galop pour aller rejoindre à Haine-Saint-Paul[1] l’état-major des alliés.

  1. 5 kilomètres.