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reçut du khédive Ismaïl le commandement d’une expédition destinée à la combattre et à prendre possession du pays. Il inscrivit quelques beaux coups de fusil sur son livre de chasse, mais les marchands d’esclaves, ces maîtres fourbes, se jouèrent de ce gouverneur, dont la naïveté égalait le dévouement.

Bien autrement efficace fut l’action de Gordon, qui lui succéda. En trois ans (1874-76) il organisa la province et la couvrit de postes militaires qui formaient les nœuds d’un immense filet dans lequel s’empêtraient les traitans et leurs convois.

Gordon fut élevé en 1877 à la haute situation de gouverneur général du Soudan égyptien. Son premier devoir était de désigner son successeur au gouvernement de la province équatoriale : d’abord malheureux dans ses choix, il offrit enfin cette charge à un certain Emin-Effendi qu’il avait eu sous ses ordres comme chef du service sanitaire de la province, et dont la célébrité devait égaler, presque dépasser la sienne.

C’était un savant allemand, de son vrai nom le « docteur Edouard Schnitzer », mais qui se disait musulman, fréquentait la mosquée, et affectait une attitude d’Oriental. Depuis 1878, Emin continuait l’œuvre de Gordon, quand, en 1884, le Mahdi envoya un de ses lieutenans, l’émir Karam-Allah, pour conquérir l’Equatoria. L’attaque fut molle, tout l’effort des mahdistes étant à cette époque dirigé contre Khartoum. Après un combat qui tourna à son désavantage, Karam-Allah renonça à son entreprise. Emin évacua les stations les plus excentriques, transporta sa résidence de Lado à Ouadelaï, en amont sur le Nil, et continua à gouverner cette province de superficie réduite, au nom du khédive.

Néanmoins, les événemens du Soudan avaient profondément modifié la situation de l’Equatoria. La seule voie d’accès aisé, le Nil, était coupée. Le gouvernement égyptien était incapable de ravitailler ses troupes et ses fonctionnaires. Malgré la persévérance qu’apportait Emin au maintien de son autorité, le khédive était dans l’obligation d’abandonner cette possession lointaine. Aussi, lorsque Stanley, à la tête d’une expédition ayant pour objet (en apparence du moins) de secourir la province, passa par le Caire, reçut-il du khédive Tewfîk un firman par lequel Emin était relevé de l’héroïque faction qu’il montait depuis quatre ans.

On sait que l’arrivée de Stanley sur les bords du lac Albert, loin de provoquer la manifestation de reconnaissance à laquelle s’attendaient les « sauveurs », suscita une terrible insurrection militaire. Les soldats se refusaient à échanger la vie large de l’Equatoria, où ils s’attardaient sans frais à de plantureuses ripailles, contre l’existence mesquine d’une garnison égyptienne.