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le Soudan comme un eldorado destiné à restaurer leurs fortunes compromises.

Les indigènes étaient exaspérés ; aux deux fléaux qui s’abattaient sur eux pendant les années funestes : sécheresse et sauterelles, s’en ajouta un nouveau que n’atténuaient jamais les variations atmosphériques, les agens du fisc khédivial.

Le Soudan aspirait donc à changer sa condition présente, lorsqu’un simple derviche, Mohamed-Ahmed, déjà célèbre par sa piété et son austérité, se déclara le Mahdi que les musulmans attendaient depuis des siècles. Quelques soldats envoyés pour se saisir de sa personne furent massacrés par ses premiers partisans. Plusieurs victoires suivirent ce premier succès ; sa popularité croissait de jour en jour. Aucune fable ne rebutait les esprits crédules. Il opérait, disait-on, des miracles, et par sa seule présence, dans les combats, transformait les balles des ennemis en gouttes d’eau.

Presque tous les Soudanais se déclarèrent en sa faveur. Les unes après les autres, les garnisons égyptiennes furent enlevées ou capitulèrent. En vain le général Hicks prit-il le commandement d’une armée pourvue de canons et de mitrailleuses. Ses troupes, démoralisées avant le combat, furent anéanties par les bandes mal armées, mais fanatiques, du Mahdi. En vain Gordon, dont le courage fut toujours sollicité par les tâches ingrates et les rudes besognes, s’enferma-t-il dans Khartoum pour défendre cette citadelle de la domination égyptienne. Gordon fut massacré ! Khartoum prise et rasée !

Au milieu de ce désastre général, une province avait cependant défié les efforts du Mahdi et reconnaissait encore l’autorité du khédive : c’était l’Equatoria. À son issue du lac Albert-Nyanza, le Nil se dirige droit vers le nord. Son cours est d’abord paisible et majestueux. Mais depuis Doufilé jusqu’à Kiri, il traverse une gorge. Il est resserré entre des hauteurs, et des rochers hérissent son lit. Il se brise contre les obstacles et se précipite en mugissant comme un torrent de montagne. Puis, il s’assagit et, à partir de Lado, devient un large fleuve de plaine, au courant très calme. Le Nil formait la ligne médiane de l’Equatoria. La province s’étendait sur ses deux rives. Ses limites ne furent jamais autrement précisées que par les postes extrêmes occupés par les Égyptiens. Ces postes étaient Tarrangole à l’est et Tangasi à l’ouest, Gaba Chambé au nord et Fauvera au sud.

Sir Samuel Baker en fut le premier gouverneur. En sa personne se confondaient deux types d’hommes, communs en Angleterre : un philanthrope et un amateur passionné de sport. En 1870 la traite des esclaves ravageait les rives du Haut-Nil. Baker