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étaient restées les dernières attachées à l’ordre compacte ; leurs mouvemens étaient pesans. Guillaume eut quelque peine à obtenir de leurs généraux un ordre plus étendu, qui permît de parer aux mouvemens tournans faciles à prévoir. Leurs rangs s’ouvrirent pour laisser passer les régimens plus ou moins débandés qui montaient par le « chemin royal ». On pouvait compter que l’ennemi serait pressant ; il fallait se hâter : l’ordre de bataille fut donc un peu interverti, non sans mélange des diverses armées comprises dans le grand tout des alliés. Cependant le gros des Hollandais était à l’aile droite[1], dirigée par Guillaume, qui d’ailleurs était un peu partout et ne perdait pas de vue le comte de Souches, objet de son animadversion. Au centre et à la gauche[2], l’infanterie impériale occupait le village et se prolongeait vers les bois, les masses et la cavalerie rangées derrière. Le prince Pio de San-Gregorio commande de ce côté. L’artillerie tenait, à droite et à gauche, quelques pièces prêtes à agir; son groupe principal était auprès des réserves, au point culminant du plateau, les pièces prêtes à foudroyer le village s’il est enlevé par les Français.

Le comte de Souches est au centre; il a l’œil à tout; le vieux capitaine s’est réveillé; par son expérience, son coup d’œil, son froid courage, il va s’élever à la hauteur de l’indomptable ténacité du prince d’Orange. La ténacité ! c’est la vertu de l’heure et du lieu. Les généraux alliés ne peuvent plus espérer une victoire; il s’agit d’empêcher la défaite de tourner à la déroute; il faut profiter de la supériorité numérique et de l’avantage de la position pour limiter l’essor de l’ennemi, s’assurer une retraite honorable. Leur armée va se montrer la digne émule de celle qu’elle combat. Comme les chefs, les soldats feront leur devoir; la palme reste aux Allemands. Robustes, braves, bien exercés, ils sont intacts et n’ont pas supporté, comme les autres, cinq heures de fatigues et de périls. S’ils doivent plier devant la furie française, ils se reformeront aussitôt. Chaque pouce de terrain par eux abandonné sera payé cher; parfois ils reprennent le terrain perdu, et sur certains points ils restent inébranlables. C’est ce qu’on verra dans le récit qui va suivre.


VII. — TROIS HEURES ET DEMIE. COMBAT DE FAYT. CONDÉ DANS LA MÊLÉE. A LA NUIT, LES DEUX ARMÉES RESTENT EN PRÉSENCE.

La nature des lieux, la variété des combats livrés depuis le matin, les derniers incidens avaient troublé l’ordre de bataille des Français, et réparti l’armée en deux colonnes ou plutôt deux

  1. Côté est, en face de la gauche des Français.
  2. Ouest, en face de la droite des Français.