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mesures, secondé par l’énergie des gouverneurs de Haguenau et de Saverne, Condé a fait avorter les entreprises de Montecuccoli contre ces deux places, lui a fermé l’entrée de la Haute-Alsace, et finit par l’obliger à ramener bien loin par delà le Rhin ses troupes épuisées.

Et cependant il a conservé au Roi cette admirable armée du Rhin, — l’armée de Turenne, — qui lui avait été remise malmenée, dépourvue, avec des bataillons faibles, des escadrons démontés, des pièces sans attelages, et que ses successeurs vont trouver rétablie, reposée, recomplétée en hommes, en chevaux, en bouches à feu.

La campagne de 1675 est terminée, campagne surprenante entre toutes, où l’allure de trois capitaines, arrivés au bout de leur carrière, — les plus grands peut-être parmi les modernes qui n’ont pas exercé le pouvoir souverain, — présente d’étranges contrastes avec les habitudes de toute leur vie ; où l’on voit le stratégiste le plus profond du siècle, passé maître en stratagèmes et ruses de guerre, d’abord aux prises avec le grave Turenne, qui, par l’audace, les coups inattendus, jette le trouble et la confusion dans le jeu de son adversaire, — puis fait échec et mat par la prudence, la justesse de calcul, la sagacité de Condé, sans que le fougueux général aux grandes hécatombes ait sacrifié la vie d’un de ses soldats.

Déjà Turenne repose à Saint-Denis dans son lit de marbre. Déjà Montecuccoli est rentré à Vienne et s’enferme dans la retraite, « ne voulant pas risquer contre la fortune éphémère d’un inconnu la gloire acquise en tenant tête au vizir Kuprugli, à M. le Prince, à Turenne ».

Et lorsque le dernier soldat de l’Empire eut quitté le sol de l’Alsace, — le sol de la France, — Condé remit au fourreau son épée, qui ne devait plus en sortir.


H. d’ORLEANS.