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« Cependant la santé de M. le Prince diminue tous les jours, ce n’est plus que son esprit qui soutient son corps[1]. » La campagne tirait à sa fin. Le moment d’entrer en quartiers d’hiver approchait. M. le Prince était autorisé à remettre provisoirement ses pouvoirs à son fils ; c’était vague ; Condé espérait mieux. Il demande des ordres plus précis, et Louvois lui répond avec une sorte de naïveté ironique : « Je ne vous ay point mandé qui commanderoit en Alsace, parce que je n’ay pas cru que Vostre Altesse ignorast que Sa Majesté en avoit donné le commandement à M. de Lorges aussytost qu’Elle avoit sceu la mort de M. de Vaubrun[2]. » Or, M. de Lorges était malade et son nom n’était pas sérieusement prononcé. Condé feint de ne pas comprendre et persiste à se montrer préoccupé de savoir qui « restera l’hiver en Alsace ». Le Roi finit par désigner MM. de Montclar et de La Motte pour commander le quartier d’hiver[3]. Ce n’est pas sans amertume que Condé vit s’évanouir une espérance si longtemps nourrie ; avoir son fils pour successeur, c’eût été le couronnement de sa carrière, la plus belle récompense de ses derniers services.

Constamment resserré, entravé par les chevau-légers français qui lui coupaient toute communication avec Strasbourg, soit par eau, soit par terre, le feld-maréchal avait mis près d’un mois à rassembler ses bateaux, à construire son pont, à fortifier sa tête de pont de Lauterbourg, à y faire entrer assez de vivres et de munitions pour assurer l’existence d’une petite garnison vouée à un sévère blocus.

Le 1er novembre, Condé savait que les troupes de l’Empereur étaient en train de traverser le Rhin, et, le 8, qu’elles avaient achevé de passer le fleuve. Le 11, les mouvemens de l’armée d’Alsace pour l’entrée en quartiers d’hiver étaient commencés.


« Empêcher Montecuccoli de rien entreprendre, l’obliger à repasser le Rhin et à chercher des quartiers d’hiver en Allemagne », tel était le but précis que Louvois indiquait à M. le Prince dans ses instructions du 25 août[4], en lui promettant des renforts pour l’exécution. Les renforts ne vinrent pas, du moins en temps utile ; mais le but fut atteint, et le plan que le Roi avait tracé, exécuté de point en point.

Par ses mouvemens des premiers jours, par son attitude et la direction donnée à ses partis, par sa vigilance et l’ensemble de ses

  1. M. le Duc à Gourville, 15 octobre. A. C.
  2. Louvois à M. le Prince, 9 octobre. A. C.
  3. Le Roi à M. le Prince, 17 octobre. A. C.
  4. A. C.