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en abondance toutes les choses dont ils ont besoin, et son pont quand ils veulent. Elle sépare les estats de Sa Majesté, et, quand on est le plus faible, elle nécessite d’abandonner la haute ou la basse Alsace, n’y ayant aucun poste à prendre d’où l’on puisse les conserver toutes deux[1]. » C’est ce que démontrait l’expérience de cette campagne et des campagnes précédentes; c’est ce que confirmera un avenir prochain. Aujourd’hui M. le Prince est d’avis d’employer les bons procédés, tout en se montrant redoutable et parfois menaçant. Nous avons vu comme la conduite des opérations fut conforme à cette double tendance. Il ne négligeait pas une occasion de montrer des égards. Un parti de Haguenau avait pris huit chariots dont l’origine semblait douteuse : « Qu’on ne touche à rien, écrivit M. le Prince à Mathieu[2], et si les chariots appartiennent à Messieurs de Strasbourg, qu’on les renvoie sans attendre d’autres ordres. » Louvois ayant recommandé une entreprise pour se saisir du fameux pont qui aboutissait à Kehl[3], M. le Prince repoussa cette idée : « L’entreprise est périlleuse tant que l’ennemi est de ce côté du Rhin. Si on réussit à brûler le pont, on ne pourra se maintenir dans le fort, et l’on fera prononcer Strasbourg. Le magistrat est impérialiste, mais il a toujours refusé de recevoir une garnison de l’Empire ; il saisira ce prétexte pour l’appeler[4]. » En même temps, Condé entamait une négociation pour obtenir de Messieurs de Strasbourg la rupture volontaire de leur pont[5] ; et encore au moment de son départ, il insistait sur l’urgence d’achever le traité et d’envoyer l’argent pour assurer l’exécution du marché[6] . Toutefois il reconnaissait que tôt ou tard, et mieux tôt que tard, il faudrait en finir : « Si le Roy veut faire un effort en ce païs, rien n’est si important que d’attaquer Strasbourg de bonne heure. La garnison est foible et meschante, n’y ayant pas plus de 1 500 hommes pour la ville et la redoute qui est en deçà du Rhin... Cette conqueste seule peut asseurer l’Alsace et l’empescher de tomber à la longue si les ennemis demeurent maistres de la campagne[7]. »

En attendant qu’on pût s’assurer de cette grande ville par l’alliance ou par la conquête, M. le Prince insistait pour la fortification de Schelestadt, dont l’occupation solide « donnerait, à défaut

  1. Mémoire visé plus haut.
  2. 20 septembre.
  3. Louvois à, M. le Prince; 22 septembre. A. C.
  4. M. le Duc à Gourville, 29 septembre. A. C.
  5. M. le Prince à Louvois, 26 octobre. A. C. (minute).
  6. Le même au même, 12 novembre. A. C. (minute).
  7. Il avait même envoyé un projet détaillé : « Mémoire sur le siège de Strasbourg », fin 1675. A. C. (minute autographe).