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ans plus tôt, le duc d’Anguien était reçu par le Suédois Möckel en quittant Guébriant[1]. C’est de là que le jeune vainqueur de Rocroy partit alors pour aller visiter Strasbourg, invité par les magistrats, qui lui firent grand accueil. Et c’est aussi en partant de Benfeldt le 20 août 1675 que Condé reçut les envoyés de ces mêmes magistrats, aujourd’hui tout effrayés de l’approche de M. le Prince et de sa réputation de rigueur. On ne s’est pas écarté de la neutralité, affirment ces délégués ; s’il n’a pas été possible de fermer à une grande armée un pont qui, après tout, ne touche pas à nos murailles, du moins aucun soldat impérial n’a été admis dans la place. M. le Prince ne se montre ni trop crédule, ni trop menaçant: de la conduite des Strasbourgeois dépendra la sienne ; peut-être renouvelle i-a-t-il avant peu sa visite d’il y a trente ans ; il n’est pas encore fixé sur l’époque ; en ce moment il a d’autres affaires sur les bras. Et poursuivant sa marche, toujours un peu incertaine, s’approchant à la fois de Strasbourg et de Haguenau, il s’arrêtait le 21 août à Holtzheim, sur la Bruche. Mais déjà des exprès avaient informé Montecuccoli que l’armée française marchait au secours de Haguenau : Condé y comptait bien.

Le feld-maréchal sait comme son adversaire dégage les places; il n’ignore pas ce qui s’est passé à Valenciennes et à Cambrai. D’ailleurs Haguenau se défend bien et ne justifie pas sa mauvaise réputation; le siège, à tout le moins, sera affaire de longue haleine. Le gouverneur, Mathieu, est homme de valeur et de grande expérience, touchant à la soixantaine, mais plein de sève et d’activité, tenace, modeste (quoique Provençal), avec des allures de hâbleur ; capitaine à Rocroy et remarqué par le duc d’Anguien, il avait conservé dix-neuf ans le commandement d’une compagnie dans « la Marine », sans manquer un siège ni une bataille[2]. Montecuccoli n’exposera pas son armée à se trouver prise entre une grosse garnison menée par un soldat de cette trempe et l’armée de Turenne entraînée par M. le Prince.

Le 22 août, le siège de Haguenau était levé, et les Impériaux

  1. Octobre 1643.
  2. André Mathieu de Castelar, originaire du Comtat-Venaissin, né en 1618, enseigne au régiment de la Marine en 1638, capitaine à Rocroy, l’était encore dix-neuf ans plus tard, en 1662, lorsqu’il fut nommé lieutenant-colonel. Il avait pris part à toutes les actions de guerre où s’illustra ce brillant régiment ; sa conduite à Seneffe fut remarquée par M. le Prince, comme elle l’avait été en mainte occasion par Turenne, qui lui confia, en 1675, le périlleux et difficile commandement de Haguenau, où il fit fort bien. Gouverneur de Fribourg en 1677, puis de Casal, maréchal de camp en 1684, Mathieu mourut gouverneur de Longwy. Les lettres qui lui furent adressées par Turenne et Condé, conservées dans les archives du baron de Meyronet-Saint-Marc, nous ont été communiquées par le marquis de Saporta.