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Cette armée qui était placée comme en vigie vers Trêves pour empêcher l’ennemi de pénétrer par la vallée de la Moselle entre nos armées de Flandre et d’Allemagne, — que Turenne et Condé avaient toujours respectée, refusant de l’appeler ou de l’affaiblir dans leurs plus pressans besoins, se reposant, pour continuer en sécurité leurs opérations, sur la présence du plus éprouvé de nos jeunes généraux, de l’élève favori de Turenne, — cette armée, moins importante par le nombre que par la situation, vient d’être surprise, dispersée, anéantie ; les fuyards arrivent de tous côtés, beaucoup sans armes.

Depuis quelque temps déjà, plusieurs princes, laïques, ecclésiastiques, jadis plus ou moins alliés ou à la solde de Louis XIV, ramenés aujourd’hui sous la discipline de l’Empire, cherchaient de nouveaux acquéreurs pour leurs bandes ; d’autres, alarmés par les prétentions de la France, par le système de Louvois, irrités des exactions, des ravages commis par les garnisons de Philisbourg et de Brisach, avaient pris le parti de mettre des régimens sur pied ; citons les ducs de Lunebourg, de Zell, de Brunswick, les évêques d’Osnabruck et de Munster. Charles IV, qui, de vieille date dépouillé de son duché de Lorraine, rôdait autour de ses États, faisant commerce de ses troupes, aujourd’hui bien réduites en nombre, s’offrit à rallier ces groupes épars. Infatigable dans sa vieillesse, il stimule les plus indifférens et parvient à rassembler à Coblentz, auprès de l’électeur de Trêves, comme lui chassé de sa capitale, une armée de quinze à vingt mille hommes. Mais quelle direction prendre ? Devait-il rejoindre le prince d’Orange ou Montecuccoli ? La mort de Turenne lui ouvre une perspective nouvelle ; il se décide aussitôt à faire le siège de Trêves et paraît sous les murs le 9 août.

Affligé, étonné de n’avoir pas été appelé à remplacer Turenne, ignorant ou feignant d’ignorer qu’un malentendu l’avait écarté de cette position, au moins à titre provisoire, Créqui, « pressé de s’embarquer dans quelque grande affaire », veut déloger ce corps de siège et s’avance à Consaarbrück. Il est surpris (11 août), fait des prodiges de valeur, entraîne une partie de ses troupes ; les autres l’abandonnent. Ce ne fut pas une défaite, ce fut une déroute, rappelant les journées de Thionville et d’Honnecourt, les temps qui précédèrent l’apparition de Condé et de Turenne à la tête des armées. La cavalerie avait lâché pied presque sans coup férir[1] ; l’infanterie, submergée dans cette débandade, se rejeta dans Trêves,

  1. Le corps d’observation commandé par le maréchal de Créqui était surtout fort en cavalerie : 20 escadrons et 6 bataillons, environ 9 000 hommes. (État du mois de mai 1675. A. C.)