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plaire au maître ; son père avait le droit d’espérer que la récompense de tant de soins, d’efforts, de résignation, cette patente si attendue de véritable général en chef, allait enfin arriver. Le 21 juin, le Roi écrivit de sa main à M. le Duc pour le féliciter chaudement de l’heureux succès du siège de Limbourg, que le comte de Nassau venait de rendre après six jours de tranchée ouverte[1].

Limbourg pris, le Roi, sentant Condé à côté de lui, eut quelque velléité d’aller défier Guillaume de Nassau, qui se tenait toujours blotti auprès de Ruremonde. Mais avec le lourd cortège, le train fastueux qui suivait le monarque, une marche offensive, en présence d’un ennemi sérieux, fut reconnue impossible. Luxembourg fut détaché avec quelque infanterie et une nombreuse cavalerie pour observer les Hollandais, et Louis XIV, reprenant sa marche lente et majestueuse, occupa successivement Tongres, Saint-Trond, Tirlemont, rasant sur le chemin les fortifications de ces petites places. Arrivé près de Charleroy, il passe la revue de son armée, renvoie Créqui vers la Sarre pour s’opposer aux entreprises de cet insaisissable duc de Lorraine, — qui ne tardera pas à donner de ses nouvelles au maréchal, — et dirige M. de La Trousse sur l’Alsace, où celui-ci conduit six bataillons, douze escadrons et cinq cents dragons. Déjà un premier détachement était parti pour rejoindre Turenne.

Le 17 juillet, Louis XIV quitte l’armée, laissant à M. le Prince 54 bataillons (dont deux de fusiliers pour le service des pièces), 97 escadrons de cavalerie, 1 de dragons, 24 pièces de campagne[2], soit une quarantaine de mille hommes, avec la mission de déjouer les tentatives des ennemis depuis Dunkerque jusqu’à Trêves, — un grand front.

De loin, Guillaume a suivi la marche de l’armée du Roi. Il arrive à Matines; il a fait sa jonction avec les troupes d’Espagne. La situation est analogue à celle qui existait un an plus tôt. Comme au mois de juillet 1674, Condé manœuvre auprès de Charleroy avec quarante mille hommes ; aux environs de Bruxelles, le prince d’Orange a déjà retrouvé l’avantage du nombre.

Une fois en possession réelle du commandement, M. le Prince revient à ses habitudes d’antan, rend la liberté à sa cavalerie légère et la tient dehors. Il a retrouvé La Fitte, son éclaireur favori depuis la mort de Saint-Clas, et La Fitte lui donne des nouvelles des Hispano-Hollandais. D’Estrades a repris sa correspondance suivie; de Maestricht, il observe les Lorrains et les Lunebourg,

  1. Le Roi à M. le Duc, 21 juin. — Le comte de Nassau à M. le Duc ; M. le Duc à Louvois, 22 juin. A. C.
  2. Ordre de bataille du 20 juillet; état du 17. A. C.