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Les clefs de Huy à peine remises au Roi, Rochefort courut investir la forteresse qui donne son nom au duché de Limbourg, alors terre d’Espagne. M. le Prince suivait, amenant le corps de siège, qu’il établit devant la place; il fit aussitôt ouvrir la tranchée. Campé près de Visé d’abord, puis un peu à l’est, à Dahlem, avec le gros de l’armée, tout fier de tenir la campagne pendant que Condé remuait la terre, le Roi couvrait le siège, et faisait face au prince d’Orange, qu’une marche parallèle venait d’amener à Ruremonde. Ne renonçant pas à la résistance, ni même à l’offensive, mais trop faible pour s’approcher davantage, Guillaume s’était placé de façon à pouvoir attirer à lui et les troupes que rassemblait Charles IV de Lorraine, et celles dont disposait Villa-Hermosa, le successeur de Monterey justement disgracié. Le vice-roi des Pays-Bas « avait assuré le prince d’Orange que le siège de Limbourg durerait un mois[1]. » Il se trompait dans ses calculs.

Les travaux furent poussés activement. Rien ne manquait. La main de Louvois se faisait sentir partout ; pas une compagnie ne peut être déplacée sans son ordre; a-t-on besoin de bateaux, de cordages, d’outils, même de sacs à terre, c’est à lui qu’il faut s’adresser[2]. Prodigue d’ordres, mais avare de nouvelles, le ministre ne disait mot dans ses dépêches des mouvemens de l’ennemi. Par son fils, M. le Prince faisait demandera d’Estrades des nouvelles du prince d’Orange, des Espagnols, des Lorrains. « Comme j’envoye tous les avis que j’ay à M. le marquis de Louvois, répondait le gouverneur de Maestricht, et que je sais qu’il les envoyé tout aussitost à V. A. S., cela m’a empesché de me donner l’honneur de luy escrire[3]. » Condé se garde bien d’insister, ne souffle mot, s’efface de son mieux. Aussitôt le siège mis en train, il en laisse la direction à son fils et rentre au quartier général du Roi, n’intervenant que s’il en est requis, se bornant au rôle de conseil, de surveillant général. C’est S. M. qui ordonne par la plume du ministre; c’est M. le Duc qui exécute. A lui reviendra l’honneur, le mérite d’avoir heureusement interprété la pensée du Roi. Et M. le Prince a soin de faire, dans le succès qu’on attend, une large part à la sagacité stratégique du souverain : « M. le prince d’Orange tesmoignoit, par la marche qu’il a tenue, vouloir secourir cette place; mais le Roy, en passant la Meuse, s’est mis en estat de l’en empescher et de s’opposer à luy[4]. » De son côté, Henry-Jules ne négligeait rien de ce qui pouvait

  1. Louvois à M. le Prince, 14 juin 1675. A. C.
  2. Dépêches des 14, 16 juin, 7 h., 10 h. du soir, 19 juin, etc. A. C.
  3. D’Estrades à M. le Duc, 16 juin 1675. A. C.
  4. M. le Prince à l’évêque d’Autun, 20 juin 1675, A. C.