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un lieutenant. Il aurait voulu remettre de son vivant à son fils cette partie de son glorieux héritage. Ses soins pour préparer M. le Duc étaient incessans; il le mettait en avant, lui créait des rapports avec le Roi, les ministres, les généraux, ne manquant pas une occasion de faire ressortir une brillante valeur, un esprit prompt et vif, une grande application au métier. Sachant bien ce qui manquait à ce fils bien-aimé, il offrait de suppléer par ses conseils à un certain défaut de jugement. Que le Roi veuille bien accorder à M. le Duc, non plus seulement le titre qu’il a déjà, mais les fonctions réelles de général en chef, et M. le Prince prendra l’engagement de rester auprès de son fils pendant les premières campagnes. S’il n’est pas toujours assuré de pouvoir se jeter à cheval dans la mêlée, du moins répond-il de suivre les armées; de sa chaise il donnera des conseils, des lumières. Ce mode de transition ou de transaction n’était pas du goût de Louvois. D’ailleurs le Roi ne voulait pas accepter les velléités de retraite des deux généraux qui faisaient la gloire de son règne, et dont la présence à la tête de ses troupes semblait comme un gage de victoire.

Si la campagne de 1674 s’était partout bien terminée[1], elle n’avait été marquée par aucune conquête nouvelle. Louis XIV avait abandonné la funeste chimère de la Hollande ; il voulait recueillir aux Pays-Bas les fruits de la victoire, les recueillir en personne, — genre d’opérations qui convenait à ses goûts, à son caractère, se faire accompagner de Condé. D’autre part l’Empire reprenait les armes, menaçait le Rhin. Montecuccoli, se croyant délivré par les incidens de Colmar de la concurrence du Grand Electeur, des autres princes ou généraux, assuré d’exercer seul le commandement, rétablissait l’armée. D’un moment à l’autre, on allait le voir reparaître avec des troupes plus nombreuses, mieux organisées que jamais.

Le Roi demanda au prince de Condé et à M. de Turenne de reprendre pour la campagne de 1675 les positions qu’ils avaient occupées en 1674, l’un auprès de S. M. dans les Pays-Bas, l’autre en Alsace. Les deux illustres vétérans se soumirent.

Le tableau d’organisation dressé le 1er mai[2] assignait à M. le Prince, et sous lui à M. le Duc, le commandement de l’armée « où Sa Majesté sera en personne. » Cette formule un peu vague témoignait de la déférence de Louis XIV pour son glorieux cousin.

  1. Au nord, la bataille de Seneffe, le secours d’Audenarde et la retraite des alliés; à l’est, les victoires de Sintzheim, d’Ensheim. Enfin la glorieuse journée de Turckheim (5 janvier 1675) venait de couronner la plus audacieuse, la plus savante, la plus heureuse des campagnes de Turenne.
  2. A. C. (Archives de Condé).