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Elle reste encore un peu confuse, parce que les premiers torts, volontairement ou non, appartiennent à l’archevêque, et que, si on peut contester quelques-unes des mesures par lesquelles le gouvernement y a répondu, il faut bien reconnaître qu’une abstention complète était de sa part à peu près impossible.

Jamais la presse européenne n’avait parlé de paix avec plus d’assurance et surtout plus d’abondance que depuis quelques jours. Rien, en effet, ne semble de nature à la troubler, et s’il y a des points noirs à l’horizon, ce sont ceux auxquels nous sommes dès longtemps habitués : ils ne croissent ni ne décroissent, ils restent stationnaires. D’où vient donc que la paix est devenue plus solide aux yeux de nos confrères allemands, autrichiens, russes et même anglais? C’est parce que deux jeunes princes, parens ou alliés de toutes les familles souveraines de l’Europe, épousent ou sont sur le point d’épouser deux jeunes princesses dont la parenté se confond déjà avec la leur. Le grand-duc régnant de Hesse-Darmstadt épouse la fille du duc de Saxe-Cobourg et Gotha, autrefois plus connu sous le nom de duc d’Edimbourg, fils de la reine d’Angleterre, frère du prince de Galles, et mari lui-même d’une sœur du Tsar. Cette heureuse circonstance a réuni à Cobourg la reine Victoria, l’empereur d’Allemagne, le prince de Galles et enfin le prince héritier de Russie. Le bruit s’est répandu que ce dernier était venu là pour son propre compte, et non pas seulement pour y jouir du bonheur d’autrui, et, en effet, la nouvelle de ses fiançailles avec la princesse Alice de Hesse, sœur du grand-duc, a été presque aussitôt officiellement annoncée. Elle a été accueillie dans toute l’Europe avec une grande satisfaction. On a même mis, en Allemagne et en Autriche, une sorte d’enthousiasme à en parler, comme si ce mariage devait amener un rapprochement intime entre des puissances qui s’étaient, depuis quelque temps, montré un peu de froideur. Le fils de l’empereur de Russie épousant une princesse allemande, c’est là un fait qui a évidemment sa valeur, et il est tout naturel que les journaux de la Triple Alliance cherchent à en tirer parti, au point même den exagérer l’importance ; mais pourquoi faut-il qu’ils profitent ou qu’ils abusent de l’occasion pour signaler ce que l’isolement de la France, vrai ou supposé, a de dangereux pour la sécurité générale? A les entendre, toute l’Europe ne rêverait et ne voudrait que la paix ; toutes les puissances auraient les mêmes intérêts; aucune opposition ne risquerait de naître entre elles sur un point quelconque du globe; enfin on serait au moment d’entrer dans une ère nouvelle, inconnue jusqu’ici à l’humanité, où la guerre ne serait plus qu’un souvenir et comme le cauchemar du passé, où la houlette remplacerait l’épée, et où on fondrait l’acier des fusils pour faire des socles de charrue; tout cela serait sur le point d’arriver si la France n’était pas là avec son humeur inquiète et inquiétante, ses revendications et ses arméniens. La France, c’est convenu, est seule