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l’impuissance de la commission devait assurer sur la Chambre l’autorité du gouvernement.

Le projet de budget présenté par M. le ministre des finances a déjà été l’objet de beaucoup de discussions. Il a recueilli des approbations extrêmement flatteuses, comme celle de M. Léon Say ; mais, d’autre part, il a fait naître d’assez nombreuses réserves. À coup sûr, il n’est point banal, il innove sur plusieurs points d’une manière originale, il oblige à réfléchir. Tel qu’il est, il fait grand honneur à M. Burdeau, parce qu’il repose sur des principes justes, et qu’il s’arrête dans l’application de ces principes aux limites qu’il serait dangereux de dépasser. Il y a dans ce budget des pierres d’attente sur lesquelles on construira peut-être plus tard. La subvention de 1 million 5 0 0000 francs accordée aux sociétés de secours mutuels, en vue d’encourager l’épargne individuelle sans se substituer à elle, n’est qu’un commencement ; mais il peut conduire fort loin ; c’est une porte ouverte sur un avenir dont l’horizon nous échappe. En revanche, M. Burdeau rétablit dans le budget un fonds d’amortissement à la résurrection duquel on ne saurait trop applaudir. Seulement, les sources destinées à l’alimenter sont déjà menacées d’être coupées.

Il y a dans le budget deux parties très distinctes : la première se rapporte au remaniement des impôts directs ; la seconde, à des arrangemens à prendre avec plusieurs compagnies de chemins de fer. Cette seconde partie est dès maintenant compromise ; la grande majorité des commissaires élus dans les bureaux y est hostile, et ceux mêmes qui s’y sont montrés favorables ont pris soin de déclarer qu’on pouvait la détacher du budget sans porter atteinte à son équilibre, ce qui malheureusement n’est pas exact. Si on ne trouve pas de ce côté les ressources indispensables pour faire face aux dépenses, combler le déficit, alléger la dette flottante, et doter l’amortissement, il faudra bien les chercher ailleurs. On a parlé déjà d’un remaniement des taxes sur les successions.

L’opinion publique s’est peu occupée jusqu’ici de cette seconde partie du budget : elle s’est portée presque exclusivement sur la première. Nous sommes habitués, depuis le commencement du siècle, à payer les quatre contributions directes qui nous sont devenues familières, et l’habitude, en matière d’impôt, serait presque une seconde nature, s’il pouvait jamais sembler naturel de payer des impôts. Nous sentons moins ceux auxquels nous sommes déjà faits : les impôts nouveaux, au contraire, même lorsqu’ils sont doctrinalement meilleurs, étonnent et inquiètent. Tel a été le cas de l’impôt sur l’habitation, que M. le ministre des finances a substitué à l’impôt des portes et fenêtres, définitivement supprimé, et à l’impôt personnel mobilier. La taxe sur les domestiques, qui est venue s’y greffer, a fait naître aussi quelque hésitation dans les esprits : on s’est demandé, bien que la proportion