passaient leurs devanciers en vice et en scélératesse. A l’audience décisive de Catherine Sforza, un étranger n’eût vu sans doute que trois personnes de bonne compagnie qui s’entretenaient cérémonieusement ; il n’eût pas soupçonné les perfidies, les ulcères et la dévastation au fond des âmes.
Durant quelques semaines, la comtesse fut logée au Belvédère et traitée avec certains égards. Bientôt, il n’y eut plus à se gêner avec elle. En avril, Milan succomba sous les armes françaises ; Ludovic le More fut conduit au donjon de Loches où il devait mourir ; son frère, le cardinal Ascanio, partagea son exil. La maison Sforza s’était écroulée jusqu’aux fondemens ; les jeunes fils de Catherine mendiaient l’hospitalité de Florence ; la pauvre femme n’avait plus un appui, plus un espoir au monde. Les Borgia l’enterrèrent dans un cachot de ce château Saint-Ange où elle avait commandé, vingt ans auparavant, d’où elle avait tenu en respect le Conclave et l’Etat romain. Séparée de son Giannino, l’enfant du Médicis qu’elle élevait avec tant d’amour, persuadée qu’on allait le faire périr, hantée par les spectres des petits innocens que sa vengeance passionnée avait suppliciés de même à Forli, elle tomba « malade de crèvecœur », dit son historien, — ammalata di crepacuore. Dans cette misère, elle devait encore lutter contre les affidés de César, qui la tourmentaient pour lui extorquer une renonciation formelle de ses droits et les décharges de certaines sommes. Elle devait répondre à une accusation d’empoisonnement sur le pape, qu’Alexandre s’était avisé d’intenter contre la prisonnière. Il paraîtrait qu’un homme de Forli, par compassion ou par amour pour sa Dame, aurait eu recours en effet à ce moyen de vengeance. Elle-même attendait chaque jour du poison dans ses alimens, ou la mort sous une autre forme. Dans Rome, où chacun savait que le château Saint-Ange ne rendait pas ses hôtes, on ne la comptait déjà plus au nombre des vivans.
L’opinion commune eût été probablement justifiée, si l’armée française, cette même armée qui avait pris Forli un an auparavant, ne fût revenue en juin 1501 camper sous les murs de Viterbe. Les soldats parlaient encore avec admiration des exploits de « la comtesse Sforce » ; ils la croyaient libre et honorée. Quand ils apprirent son misérable sort, un murmure s’éleva dans le camp; Yves d’Allègre, complice involontaire de cette tragédie, en sentit le déshonneur sur lui. Aussitôt instruit, il monta à cheval, courut d’une traite au Vatican, et seul, sans se faire annoncer, il entra brusquement chez le pape. — « Saint-Père, Madame Catherine Sforce n’est pas votre prisonnière, elle est la protégée du roi de France mon seigneur. Le pacte conclu entre le duc de Valentinois et moi a été violé. Si Votre Sainteté ne libère pas immédiatement Madame,