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répétées. Le 12 janvier de l’an 1500, on donna le dernier assaut. Refoulée dans le réduit de sa citadelle, la comtesse fît sauter les poudres. L’explosion la laissa vivante, avec une poignée de fidèles fanatisés par son courage. Elle combattait encore sur un monceau de cadavres, quand un anspessade du bailli de Dijon la saisit par les épaules. Elle eut la présence d’esprit de s’écrier : « Je me rends au roi de France! » Cette inspiration, qui devait la sauver plus tard, faillit à ce moment la perdre ; peu s’en fallut que les soudards ne regorgeassent, dans la dispute qu’ils eurent avec le duc de Valentinois sur le prix de leur capture.

Souveraine dépossédée, mère séparée de ses enfans, captive livrée à un scélérat sans scrupules et sans pitié, Catherine allait connaître toutes les horreurs de la pire fortune. Comme on pouvait l’attendre de lui. César s’efforça d’abord de la déshonorer; pour faire dire et croire qu’il abusait d’elle, il la contraignit à partager son appartement. La loyauté française se révolta : Antoine de Bissey, bailli de Dijon, réclama la prise de ses hommes d’armes ; il signifia au Borgia que la loi de France ne permettait pas de retenir une femme prisonnière de guerre. Yves d’Allègre s’interposa entre le duc et le bailli ; il fut convenu que la comtesse, désormais sujette du roi, resterait sous sa garde. Mais un ordre de Louis XII rappela bientôt les capitaines français en Lombardie. Catherine retomba au pouvoir du bandit, qui la conduisit à Césena et la condamna de nouveau à une odieuse promiscuité. Sur la fin de février, il la traîna à Rome, « chargée de chaînes d’or », au dire de ses biographes; pourtant le Journal de Burchard, qui raconte minutieusement l’entrée triomphale de Borgia, ne mentionne pas la présence de Catherine dans le cortège.

La victoire de César jeta le pape dans des convulsions de rire et de larmes. Et lacrymavit et risit, dit Sanuto. Alexandre avait jadis connu et flatté Catherine à la cour de Sixte IV ; il avait été le parrain du premier enfant de Riario. Quand on lui reparla de la comtesse, son premier mot fut: « Est-elle toujours belle? » Puis il émit l’opinion réfléchie qu’on aurait dû la mettre à mort sur-le-champ, parce que, disait-il par allusion à la vipère du blason milanais, « cette maison Sforza est la semence d’un serpent endiablé ». Le Valentinois amena sa conquête à son père. Nous n’avons aucun détail sur cette dramatique entrevue. Il est facile d’en reconstituer la physionomie extérieure ; il suffit de regarder, dans les chambres Borgia où elle eut lieu, les fresques historiques du Pinturicchio. Ces cœurs ignobles ont des enveloppes exquises. Sur les personnes et dans les façons, tout est majesté, politesse, bonne grâce. Plus rien de la rudesse vulgaire des Rovere, les âpres Liguriens, dans la haute mine de ces Espagnols affinés, qui