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Ottaviano, engagé au service de Florence, n’était qu’un assez piètre soldat ; pour les autres, elle demandait des bénéfices ecclésiastiques, n’attendant d’eux rien de mieux. Un instinct secret l’avertit que le héros toujours appelé vagissait dans ce dernier berceau. Cet enfant sera, en effet, le fameux Jean des Bandes Noires, l’orgueil de l’Italie, le fondateur des milices régulières et le plus grand capitaine de la péninsule. Par lui, par son fils Côme et par Marie de Médicis, le sang des Sforza passera dans les veines de toutes les maisons royales de l’Europe. La préparation et l’intuition mystérieuse de ce radieux avenir soutiendront seules Catherine, dans l’effroyable ruine qui va anéantir, au soir de la vie, toutes les grandeurs et toutes les félicités de la Madone de Forli.


III.

Amené par son sujet à peindre la Rome du XVe siècle et à parler des papes qui ont élevé, puis précipité son héroïne, M. Pasolini montre un sentiment très juste des obligations de l’histoire. En le lisant, on se dit que des Italiens devraient seuls écrire sur l’Italie d’alors. L’Allemand, l’Anglais, avec leur sérieux rigide et leur honnêteté tout d’une pièce, obéissent aujourd’hui encore à la répulsion qui suscita leurs réformateurs ; sauf rares exceptions, ils ne font pas de distinction entre le principe et les hommes, ils confondent dans une même réprobation le pontificat et ses indignes dépositaires. Le Français, s’il vient du camp de M. Homais, tire un facile avantage des scandales romains pour déclarer, avec sa logique simpliste, que la barque du Pêcheur fut toujours une arche de charlatans ou de brigands. S’il se rattache à la foi catholique, un agaçant fétichisme pèse trop souvent sur sa plume ; l’histoire qu’il écrit ressemble à l’autruche cachant sa tête ; il esquive ou il essaie de blanchir des turpitudes notoires. Le génie plus souple des Italiens sépare les hommes de l’idée, il replace plus aisément chaque personnage à son plan, dans le milieu qui l’explique : fidèles à la tradition de Dante et des grands chrétiens du moyen âge, leurs historiens savent demeurer respectueux pour l’Eglise avec une entière liberté de jugement sur les ecclésiastiques malfaisans. — « La triste période de Sixte IV, d’Innocent VIII et d’Alexandre VI, dit notre auteur, fut comme un orage d’été où l’on croit voir la ruine du monde ; mais chacun sait qu’il est circonscrit dans notre atmosphère terrestre, et qu’au delà règnent le calme, la lumière éternelle du ciel. » — Et plus loin, après qu’il a raconté les abominations et la fin d’Alexandre VI, il ajoute simplement : « Si l’Église ne lui est pas morte entre les bras, c’est le signe visible que Dieu la protégeait. »