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plus dénudé, si vous l’oignez avec un orpiment fait d’huile de roses, de têtes de grenouilles et de queues de lézards verts. Il y a pour le même objet d’autres baumes aussi efficaces ; et les eaux de beauté sont d’une vertu miraculeuse. Mais les personnes de peu de foi préféreront sans doute connaître la suite des aventures de Catherine.

Nous avons vu jusqu’ici la princesse politique et guerrière, toujours embesognée de négociations et de combats. Chez cette veuve de vingt-huit ans, la femme se réveilla et prit sa revanche : elle fut ardente à l’amour, comme elle l’était à tout. Quelques mois après l’assassinat de Riario, la comtesse tirait de l’obscurité où il végétait un jeune soldat de vingt ans, Giacomo Feo ; elle le faisait coup sur coup châtelain de Forli, chef de toutes les milices et forteresses de l’État ; charges et dignités pleuvaient sur lui. Les langues se délièrent ; nonobstant quelques coups de corde et quelques jours de cachot infligés aux bavards, à Cobelli entre autres, la passion de Catherine devint l’entretien public, et l’envoyé de Florence pouvait écrire au Médicis : « Plutôt que de laisser chasser Messer Giacomo de ce gouvernement, ils souffriront toutes les extrémités. Madonna sacrifiera sa personne, ses enfans et tous ses biens, elle donnera son âme au diable et ses États au Turc, avant qu’on ne les sépare l’un de l’autre. » — Esclave des volontés de son jeune maître, la comtesse n’osait plus recevoir un ambassadeur sans que Feo fût présent ; elle pliait sa politique aux caprices du parvenu. Ce fut le seul moment de sa vie où elle abdiqua son empire sur elle-même et sur les autres, où l’amour rompit ce parfait équilibre qui lui faisait toujours subordonner ses intérêts de femme et de mère aux intérêts de l’État ; avant et après l’épisode de Giacomo Feo, elle offre une singulière parenté de nature avec une autre Catherine, la grande impératrice de Russie, très femme, mais encore plus souveraine.

Néanmoins sa rectitude de jugement lui fit horreur d’une liaison illégitime qui eût étonné fort peu de gens, à cette époque de relâchement général. Par un scrupule bien rare chez ses contemporaines, et malgré les dangers d’un mariage qui l’aurait fait déchoir de tous ses droits souverains, s’il eût été publiquement avoué, elle s’unit secrètement à Feo, elle reconnut le fils qu’elle avait de lui et l’éleva avec les enfans de Riario. Ce fut l’origine de dissentimens dans la famille qui eurent bientôt leur répercussion dans la cité. Après quelques années de pouvoir absolu, le favori s’était rendu insupportable à ses concitoyens. Un jour que la comtesse revenait gaîment de la chasse avec lui, deux prêtres arrêtèrent le cheval du jeune homme sous la porte de Forli ; des sbires apostés le renversèrent et le poignardèrent. On rapporta son corps affreusement