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Un lettré qui tient école d’éloquence, Cola Montano, arme leurs mains par ses enseignemens : les grands citoyens peuvent-ils naître et prospérer ailleurs que dans une libre république ? Ces meurtriers se sentent en parfaite sécurité de conscience, parce qu’ils sont couverts par des exemples admirés dans les bons auteurs, Harmodius et Aristogiton, Brutus et Cassius. À cet égard, leur état d’esprit est tout semblable à celui de nos révolutionnaires du dernier siècle, tel que nous le rendent naïvement les Mémoires d’une Mme Roland. Mais ils ont de plus que ces derniers la foi italienne dans la protection des saints. Rien de curieux comme la déposition d’un des assassins de Galeazzo, l’Olgiati. Enflammé par la prédication classique de Cola Montano, ce jeune homme de vingt-deux ans est d’abord allé prier saint Ambroise, afin que le bienheureux soit propice à la grande entreprise qui rendra la liberté à la patrie ; puis, avec ses complices, dans l’église où ils font la répétition du crime, l’Olgiati implore le protomartyr saint Étienne en faveur d’une action « si sainte et si louable ». Jusque sous le couteau du bourreau qui écartèle ses membres, il s’écrie : « L’œuvre sainte pour laquelle je meurs tranquillise ma conscience sur mes autres péchés… Sois ferme, Girolamo, la mémoire de ce que tu as fait durera toujours : la mort est cruelle, mais la gloire est éternelle ! « Le peuple fut ému de cette assurance ; Machiavel en parle avec une admiration consentante aux sentimens qu’elle révélait. Pour ces hommes, le prix de la vie humaine est nul, le moyen qui la supprime indifférent ; le mobile de l’acte, s’il est classique, décide seul un jugement favorable ; et aussi l’exécution, si elle est élégante. — Cet égarement de conscience n’est-il plus qu’une curiosité historique ? Avant de répondre, réfléchissons sur certains « gestes » contemporains et sur la complaisance croissante qu’ils trouvent dans notre dilettantisme.

Mûrie par cette tragédie, la jeune Catherine partait quelques mois après pour Rome. Elle recueillait sur la route les premières ovations de ses futurs sujets d’Imola. Le 25 mai 1477, tout un cortège de cardinaux venait recevoir aux portes de la Ville Éternelle l’épousée de quatorze ans ; dès le lendemain. Sixte IV l’unissait solennellement à son neveu et la comblait de riches présens. Le vieux et rude franciscain avait passé sur le tard des austérités du cloître aux soucis d’une politique ambitieuse ; il prit en affection particulière cette délicate enfant, que tous proclamaient déjà la plus gracieuse et la plus bette personne de l’Italie. Un portrait attribué à Marco Palmeggiani nous montre Catherine à l’âge de dix-huit ans, fine, sérieuse, d’une carnation éclatante sur le visage aux traits encore incertains ; les doigts graciles disposent des cyclamens dans une coupe. C’est la beauté un peu impersonnelle