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De la porte entr’ouverte, il vit sa cheminée
Et reconnut la haute armoire de noyer
Par un feu de sarment très vif illuminée...
Une femme était là, travaillant au foyer ;

Malgré l’heure tardive encore bien éveillée,
Et la quenouille en main filant comme autrefois.
Seule, toute songeuse et de noir habillée...
Il eût voulu parler, mais il resta sans voix.

La pauvre et sainte femme à chevelure grise
Ne comptait plus le voir... elle avait pris son deuil…
Sur sa chaise de paille elle rêvait assise...
Lui s’arrêta d’abord haletant sur le seuil...

Puis vint à deux genoux s’incliner devant elle,
Rivant ses yeux noyés de larmes sur les siens
Dans un profond regard d’espérance immortelle.
En lui disant tout bas : « Oui, c’est moi qui reviens.


APRES


Quand un ardent soleil s’éleva de la plaine,
Tous les glorieux morts n’étaient pas enterrés :
Habits galonnés d’or et capotes de laine
S’étalaient par lambeaux richement éclairés.

Plus rien ne remuait dans la chaude lumière.
Pas un tressaillement aux baisers du soleil.
L’œil ouvert, mais éteint, ou fermant la paupière.
Tous étaient endormis de leur dernier sommeil.

Petits blonds de vingt ans, vieux à moustache grise,
Conscrits et généraux, pêle-mêle étendus.
Sur le champ mortuaire où chacun fraternise.
Côte à côte gisaient dans les rangs confondus.

Héroïques d’entrain et de sauvagerie,
La veille, triomphans ou vaincus tour à tour,
Ils s’étaient bien rués à la grande tuerie
Dans le rude combat qui dura tout un jour.