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Ce fut par de joyeux et clairs matins de neige,
Où l’aurore allumait ses premiers feux pourprés,
Qu’autrefois les Normands, blonds fils de la Norvège,
Dressaient la haute échelle à Saint-Germain-des-Prés.


LE RETOUR



I


Quand on vieillit, on aime à lire l’Odyssée,
Comme on aimait, enfant, Robinson Crusoé,
Le berceau de Moïse et l’arche de Noé
Achevant sur les monts sa haute traversée.

Et quand ces livres d’or à regret sont fermés,
On revoit en esprit de fabuleux parages.
De fraîches oasis aux verdoyans mirages.
Dont nos clairs souvenirs restent longtemps charmés.

En parcourant les mers sur un navire antique,
L’illustre voyageur du monde oriental.
Par les flots emporté loin du pays natal,
Chaque soir, voyait fuir son île fantastique...

Ithaque... Il en était parti depuis vingt ans.
Et baisa le rivage en retrouvant la terre;
Tous ses compagnons morts, il revint solitaire.
Vieux et la barbe inculte après un si long temps.

L’apercevant de loin, sa grande meute aboie
Sur le pauvre honteux en haillons, presque nu.
Un seul parmi les chiens au flair l’a reconnu
Et se traîne à ses pieds en expirant de joie.

L’homme est changé... Ce n’est qu’en voyant son genou
Marqué d’une profonde et blanche cicatrice,
Que, le cœur défaillant, son ancienne nourrice
De ses deux bras émus enveloppe son cou.

Mais c’est en vain qu’il a transpercé de ses flèches,
L’un sur l’autre abattus, tous les fiers prétendans
Qui dans ses gras troupeaux mordaient à belles dents,
Et qu’il est rouge encor de leurs blessures fraîches.