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avant une année au moins, à cause des énormes quantités de blés étrangers qui ont été importées en France dans les deux mois de janvier et février. La surtaxe de 2 francs n’empêchera pas la Russie, les États-Unis, l’Australie, la République Argentine de nous envoyer leurs blés. Nous paierons seulement la farine et par conséquent le-pain un peu plus cher. Et cependant, quand l’heure sera venue pour les agriculteurs de commencer à recueillir le plein bénéfice de la surtaxe, il est plus que vraisemblable que les mêmes causes générales qui ont fait baisser le prix du blé avec le droit de 5 francs, ne permettront pas que le nouveau droit procure le prix minimum rémunérateur de 25 francs. Toutefois, et c’est le plus net des résultats du vote, une apparente satisfaction a été donnée aux plaintes de l’agriculture. Des promesses avaient été faites aux dernières élections par un grand nombre de députés à leurs électeurs ; ces promesses sont dégagées.


IV.

La viticulture ne souffre pas moins que l’agriculture. Elle a même une cause plus immédiate et plus aiguë de faire entendre des lamentations. La crise présente en effet cette singularité qu’elle est la conséquence d’une récolte magnifique. Mais cette récolte a un défaut radical, celui du cheval si beau qui n’avait oublié que d’être vivant, ou du navire parfait dont l’unique inconvénient est de ne pouvoir naviguer. Cette récolte est la plus belle qu’on ait vue depuis le phylloxéra ; mais elle ne se vend pas.

Les vendanges de 1893 ont donné 50 millions d’hectolitres ; 15 millions sont encore dans les celliers des producteurs qui ne peuvent les écouler à aucun prix.

La mévente des vins ! cri poussé depuis trois mois dans tout le Midi, et aussi dans la Bourgogne et dans la Gironde ! Mévente ! c’est-à-dire grève d’acheteurs, absence d’ordres, abstention des consommateurs. L’étonnement du Midi, devant le phénomène de la mévente, a été si profond, qu’il a engendré l’indignation et presque soufflé la révolte. On a vu, dans certaines régions, des groupes d’habitans menacer le gouvernement du refus de l’impôt, s’il ne mettait un terme à la mévente.

Il est certain que la déconvenue est grande, que les populations viticoles sont durement frappées, et qu’il est naturel que dans leur détresse elles se soient adressées aussitôt à l’État. Il faut rendre cette justice à ceux qui ont pris la parole en leur nom,