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L’armée de Hollande suit celle de l’Empereur; celle d’Espagne vient la troisième. L’ordre est donné de marcher sur trois colonnes, la cavalerie à gauche du côté de la rivière, l’infanterie au centre, les voitures à droite le long ou au travers des bois. La direction est donnée sur Haine-Saint-Pierre ; c’est là ou près de là qu’on campera, logera comme on pourra; les maréchaux des logis sont partis et y pourvoiront.

La distance à franchir variait entre cinq et quatre lieues, suivant que les troupes quittaient des quartiers plus éloignés (Arquennes par exemple) ou plus rapprochés de Haine-Saint-Pierre ; courte étape, bien longue à parcourir. Pour trois colonnes, il n’y avait qu’une route, un seul « chemin royal », qui, de Nivelles, allait rejoindre vers Binche une antique voie romaine, la « chaussée Brunehaut », et, se bifurquant, conduisait à Mons ou à Landrecies. Mons était l’objectif des alliés; ils comptaient y aller en deux jours. C’est la colonne du centre qui tenait la route royale; les deux autres devaient chercher leur passage dans de mauvais chemins ruraux ou au travers des prés et des bois. A mesure qu’on s’éloignait du point de départ, les obstacles se multipliaient, marais, vergers, clôtures, villages aux étroites ruelles, puis des taillis touffus, chemins creux, pentes abruptes; entre le Prieuré-Saint-Nicolas et Fayt, le pays se rétrécissait beaucoup. Le premier corps d’armée était passé tant bien que mal ; mais les autres s’enchevêtraient, s’entassaient. Songez, que de monde! que de voitures! Soixante à soixante-dix mille combattans, dont le nombre était presque doublé par celui des charretiers, goujats, des femmes surtout, près de cent mille âmes[1].

A certains momens, on ne pouvait ni avancer ni reculer, et l’encombrement paraissait irrémédiable; aussi M. de Souches s’établissait déjà dans son logement de Haine-Saint-Pierre que la queue des convois était à cinq lieues en arrière.

Postée à hauteur et un peu au-dessus de Seneffe, fermant ce village aux traînards et aux voitures, l’arrière-garde attendait la fin du défilé pour prendre le même chemin. Comme la pointe d’avant-garde, elle se composait de détachemens des trois armées, cinq mille chevaux, quelques centaines de dragons et trois régimens d’infanterie hollandais. Le prince de Vaudemont, qui la commandait, lieutenant général au service d’Espagne, n’était pas un inconnu pour les officiers français. On avait admiré à la cour

  1. Dans l’armée impériale en campagne, la pratique est de passer à chaque compagnie quatre chariots, plus un chariot de vivandier, — à chaque cavalier un bidet, outre le cheval d’armes, — aux fantassins, femmes et ânes, donne e sommari, nombre indéterminé. Ajoutez les équipages de l’armée, chariots pour les vivres, les malades, les munitions, les outils, etc. (Montecuccoli, Aphorismes, t. I, p. 132.)