C’est du collectivisme, mais appuyé sur les plus solides argumens protectionnistes. M. Jaurès est l’ennemi de la concurrence, comme les adeptes de M. Méline. Comme eux, il hait les intermédiaires, le grand commerce, la spéculation. A leur exemple, il considère la cherté des denrées comme une source de richesse, et la baisse des prix comme une calamité publique. Comme eux enfin, il invoque l’intervention de l’Etat.
On se demande pourquoi les protectionnistes n’ont pas adopté avec enthousiasme sa proposition. Elle présente en effet de grands avantages, ceux-là mêmes que l’on recherche dans l’école Méline. Elle supprime la spéculation, elle intervient dans les contrats, elle garantit aux cultivateurs de blé le prix minimum de 25 francs.
M. Jules Guesde a été naturellement plus loin que M. Jaurès. Ce n’est pas assez que l’Etat se fasse l’importateur unique de blé, il faut qu’il soit aussi le distributeur des subsistances, l’arbitre souverain des profits et des salaires. A quoi bon ce droit de 7 francs qui ne protège que la grande culture, genre de protection qui enrichit les riches et appauvrit les pauvres? Laissez le commerce libre, s’écrie alors l’économie politique dans sa simplicité d’âme. — Non, répond M. Jules Guesde, la liberté ne profite qu’aux forts et écrase les faibles. A la protection dont vous favorisez la grande culture, il faut opposer la protection pour les ouvriers agricoles. Votez une loi qui établisse un salaire minimum pour les ouvriers de la terre. Ceux-là sont vraiment les producteurs, et, par une misérable ironie de la destinée, ils ne sont pas les vendeurs du blé que leur travail fait jaillir du sol. Acheteurs du pain quotidien, ils sont les premières victimes du droit de 7 francs.
Il n’est pas mauvais que la Chambre ait eu ainsi un aperçu des solutions socialistes que recèle le protectionnisme. Et tout d’abord la perspective paraît l’avoir singulièrement intimidée. Elle n’a pas osé repousser nettement les propositions relatives à la fixation d’un salaire minimum pour les ouvriers agricoles, elle les a renvoyées à la commission du travail. La protection du travail n’est-elle pas, après tout, le corollaire de la protection de l’industrie et de l’agriculture? S’il convient d’assurer au producteur un prix minimum rémunérateur pour la vente de ses produits, comment ne conviendrait-il pas de garantir au travailleur un salaire minimum rémunérateur pour l’emploi de sa peine?
De cette grande discussion que reste-t-il? Une surtaxe de 2 francs dont profiteront à peu près seuls les propriétaires de grandes exploitations agricoles, et dont ils ne pourront pas profiter