Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des moyens de transport, la substitution des machines au travail agricole, généralement tous les progrès scientifiques, puis l’abaissement presque incroyable du fret, 1 fr. 50 par quintal d’Odessa à un port français, 2 francs de New-York, 3 francs de Buenos-Ayres. Or l’agriculteur français, a soutenu M. Graux, ne peut établir le prix de revient de son blé au-dessous de 24 à 25 francs le quintal. C’est donc à ce niveau qu’il faut relever les prix sur nos marchés intérieurs au moyen de la surtaxe, si l’on veut que les emblavures en froment ne diminuent pas sur notre sol et que la France ne suive pas l’exemple de l’Angleterre, où l’on ne fait plus la culture du blé que d’après des méthodes intensives, sur quelques terres de choix, et où chaque année on importe en moyenne 50 millions de quintaux de blé.

La question des changes et de leur influence sur la crise de notre agriculture a suscité les opinions les plus contradictoires. Un livre récent d’un économiste distingué, M. Edmond Théry, la Crise des changes, cherche à établir que toute perte au change est une prime d’exportation pour les pays qui la supportent, et que l’importance de la prime est en raison directe de l’importance de la perte. Cette thèse, d’apparence paradoxale, a été combattue avec éclat par M. René Brice (séance du 12 février).

Les protectionnistes cependant espéraient beaucoup de cet argument du change. La plupart des pays neufs, agricoles, ont une monnaie avariée. On peut acheter chez eux avec une quantité d’or une quantité plus grande de papier ou d’argent représentant une quantité plus grande de quintaux de blé. D’où la perte au change devient une prime d’exportation.

Mais ceux qui tirent des conclusions extrêmes du fait du change n’ont pas plus raison que ceux qui n’en veulent tirer aucune. Les premiers raisonnent ainsi : Le change étant de 60 pour 100, on peut, dans le pays où ce change existe, acheter, avec 100 francs d’or, 160 francs de monnaie de papier avec lesquels vous acquérez la même quantité de marchandises que vous feriez chez vous pour 160 francs d’or. Cela n’est pas, car les prix des marchandises et denrées haussent dans un pays à mesure que la monnaie se déprécie.

Ce qui est vrai, d’autre part, c’est que cette hausse des prix ne suit pas une progression aussi rapide que la dépréciation de la monnaie, en sorte que, pendant le période de la dépréciation, le change offre en effet aux acheteurs étrangers une véritable prime favorisant les sorties de marchandises et productions du pays. Le phénomène a été constaté de la façon la moins équivoque pendant nombre d’années dans l’Inde, et actuellement il se manifeste