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le reste de la période décennale les prix par quintal avaient constamment baissé, variant de 24 fr. 98 à 21 fr. 70.

L’année 1893 a vu se continuer cet avilissement. Dans la seconde quinzaine de décembre, le cours moyen a été de 20 fr. 29 à Paris les 100 kilogrammes et, dans le même temps, il était de 18 francs à Berlin, de 16 francs à Vienne, de 15 fr. 30 à Londres, de 13 fr. 53 à Amsterdam, de 13 fr. 56 à New-York, de 12 fr. 66 à Chicago.

Le contraste entre la première période et la seconde est saisissant. Ce n’est pas à dire que le droit de douane ait causé directement cette déroute continue des cours du blé, puisque l’établissement du droit de 5 francs n’eut lieu que parce que la crise sévissait déjà. Mais la taxe douanière est restée impuissante à conjurer le mal. Imposée pour empêcher l’avilissement des prix, elle n’a pas enrayé ce mouvement, et n’a eu pour résultat que de maintenir sur le marché français un écart de 4 fr. 50 à 5 francs entre le prix national et ceux des marchés de l’extérieur.

C’est d’ailleurs en soi un résultat encore appréciable, et ce qui le prouve bien c’est que tous les amis protectionnistes de l’agriculture, après avoir constaté l’insuffisance de l’action du droit de 5 francs, en ont conclu, non pas qu’il le fallait supprimer, mais au contraire qu’il était urgent de l’élever à 7, 8 ou même 10 francs, ainsi que le proposèrent les plus ardens.

Sur les causes de cet avilissement de prix, si elles sont permanentes ou passagères, si elles se rattachent exclusivement à l’action irrésistible de la concurrence étrangère, ou si une certaine lenteur, chez nos populations agricoles, à adopter des procédés plus industriels, des méthodes plus scientifiques de culture, n’explique pas en partie l’infériorité dont elles sont actuellement frappées ; sur ces divers points et sur bien d’autres, M. Graux et M. Sébline ont présenté de savans rapports à la Chambre et au Sénat. Les mêmes sujets ont été traités devant ces assemblées avec un talent et un éclat remarquables dans une série de belles séances qui ont rappelé le souvenir de quelques-unes des plus brillantes discussions d’autrefois.

Il ressort du débat que l’agriculture française, malgré l’appui que lui a donné le droit de 5 francs, ne peut résister à l’action déprimante exercée sur les prix par l’importation des blés des États-Unis, de l’Inde, de l’Australie et de la Russie, où la production ne cesse de s’accroître. Tout concourt à diminuer les prix non seulement du blé, mais d’un grand nombre d’autres produits, tels que les huiles, les fers, les fils, les tissus : les facilités des communications télégraphiques, la rapidité croissante et le bon marché