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en a fait la pénible expérience. Au temps où le prince de Bismarck avait élevé autour de l’empire les barrières d’un haut tarif douanier, l’industrie germanique, très protégée, eut une période de prospérité; mais tandis que, grisée de son succès, elle se livrait à une production excessive, le tarif, par ses exagérations, fermait les issues par où auraient pu s’écouler les produits, et l’Allemagne faillit étouffer de pléthore.

M. de Caprivi et Guillaume II avaient prévu cette crise redoutable; pour la conjurer ils en étaient revenus à cette politique de traités de commerce tant honnie de nos économistes parlementaires, et ils la faisaient triompher au moment même où nos Chambres la vouaient à l’exécration. Dans ce même mois de février 1892, en effet, où commençait l’application de nos tarifs autonomes, étaient mis en vigueur les traités de commerce que venaient de conclure entre eux pour une période de douze années l’Allemagne, l’ Autriche-Hongrie, l’Italie, la Belgique et la Suisse.

Depuis février 1892, on n’a entendu parler que de traités de commerce. La Russie elle-même s’est lassée de sa guerre commerciale avec l’Allemagne ; pour accroître ses exportations de céréales, elle a volontiers accueilli l’idée d’un traité aliénant sa liberté pour dix années, et elle vient de conclure, après deux ans de négociations, une convention qui abaisse pour son blé et son seigle les tarifs de la frontière allemande, à l’heure même où nous portions de 5 à 7 francs notre taxe d’entrée sur le blé. O opportunisme !

La Russie négocie maintenant avec l’Autriche-Hongrie. Toute l’Europe s’est remise ou se remet au régime des conventions commerciales. Nous seuls tenons bon pour la politique de l’isolement et des mains libres. La France est assez forte pour supporter quelque temps les conséquences économiques, même d’une très fâcheuse politique. Nous rappellerons toutefois encore un passage du discours de M. de Caprivi sur les traités de commerce du 7 décembre 1891 : « Si je fais à quelqu’un une guerre économique, c’est que j’ai l’intention de l’affaiblir ; or notre intérêt est, au contraire, de fortifier nos alliés. Je crois qu’il ne nous est pas permis de léser d’une façon durable les intérêts d’Etats avec lesquels nous entretenons des relations amicales. »

La guerre économique a cessé entre la Russie et l’Allemagne, et l’on verra se produire la répercussion, si clairement indiquée par M. de Caprivi, des traités de commerce sur les relations politiques. Notre droit de 7 francs sur les blés n’affaiblira pas l’entente franco-russe, soit; il serait téméraire d’affirmer qu’il la fortifiera.

Nous ne voudrions pas laisser sans réponse l’argument des