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agricole, débiteurs de l’étranger, comme la République Argentine, le Brésil, l’Australie, même les États-Unis. Pour ces pays une balance commerciale défavorable est un indice sérieux d’appauvrissement. Pour l’Allemagne encore elle constitue une condition fâcheuse.

Mais pour des pays riches comme l’Angleterre, la France, la Belgique, grands créanciers de l’étranger, la théorie n’a plus d’application.

Si la France avait en effet à payer chaque année au dehors, à s’en tenir aux seules conclusions de la balance commerciale, des centaines de millions, après plusieurs années ce drainage s’élèverait à des milliards et la ruine apparaîtrait fatale. Mais ce prétendu drainage de nos capitaux n’existe que dans l’imagination d’une commission des douanes où dominent des protectionnistes. Il faut considérer d’abord que le prix des marchandises importées, tel qu’il figure dans les tableaux officiels, comprend non seulement le prix de revient de la marchandise au lieu d’origine, mais encore le fret maritime, l’assurance, les commissions, jusqu’au bénéfice commercial, tandis qu’à l’égard des exportations, la valeur classée dans les statistiques ne comprend que le prix de revient de la marchandise en fabrique. L’écart des deux résultats est donc moindre en réalité qu’en apparence.

En outre la commission des douanes ne tenait pas compte de deux élémens essentiels : 1o l’importance énorme des sommes que touche l’épargne française comme intérêt des capitaux qu’elle a prêtés par milliards à l’étranger ; que l’on songe seulement à la valeur totale des coupons payés chaque trimestre par la Russie aux porteurs français de titres de sa dette ! 2o la dépense que font chez nous les étrangers, à Paris, sur nos côtes ou dans nos villes d’eaux. Les évaluations les plus modérées portent à 800 millions ou à un milliard la valeur de cet appoint de capitaux.

Par là se trouve comblé, et bien au delà, le déficit de la balance commerciale. Depuis que cette balance s’obstine à nous être défavorable, le développement de la richesse a pris une allure accélérée. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à additionner les quantités de numéraire détenues à la Banque de France avec les disponibilités des institutions de crédit, sans parler des quantités indéterminées tenues en réserve par les particuliers, et de l’énorme accumulation du stock des caisses d’épargne.

Des pays qui ne se trouvent pas dans de telles conditions, ne pourraient naturellement supporter longtemps le fardeau d’une dette annuelle énorme à acquitter à l’extérieur par suite d’un excédent des importations sur les exportations. L’Allemagne