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il n’a cessé de voir tout le paysage que nous venons de décrire, sillonné par les interminables colonnes de l’armée alliée, longs serpens dont les anneaux se déroulent lentement, apparaissant dans les prés, les clairières, se dérobant derrière les villages et surtout dans les bois dont le pays est couvert.

De tous les champs de bataille, ceux de Belgique sont peut-être les plus méconnaissables. Nulle part on n’a défriché plus de bois; l’ouverture de nombreux canaux, les progrès de la culture, ont assaini des prairies jadis marécageuses, diminué le volume, rétréci le lit de mainte rivière ou ruisseau, et adouci nombre de pentes jadis escarpées. Ainsi ont disparu ou se sont transformés une foule d’obstacles décrits par les historiens militaires et dont on a peine à retrouver la trace aujourd’hui. Cela est vrai, non seulement pour les champs de bataille du XVIIe siècle, mais encore pour ceux de 1815. Le Ligny n’est plus qu’un filet d’eau; aux Quatre-Bras, où se maintint si longtemps la brigade du duc Ber- nard de Saxe-Weimar, et à Waterloo, les changemens ne sont pas moindres ; où retrouver aujourd’hui le chemin creux d’Ohain et ce parapet naturel derrière lequel les gardes anglaises restèrent inébranlables? Dans les bassins houillers, la transformation est encore plus absolue et le bouleversement complet; partout des maisons, des puits, cheminées, tranchées, monticules, voies ferrées en tout sens ; à peine peut-on relever un indice de l’ancien état des lieux. C’est le cas particulier de l’étrange champ de bataille allongé[1] où Français et alliés se heurtèrent pendant quatorze heures, le 11 août 1674.

La journée du 10 tirait à sa fin, lorsque M. de Souches, cédant aux instances de Guillaume, se laissait arracher l’ordre de reprendre la marche interrompue la veille. Aussitôt le feldzeugmeister change d’attitude; le voilà aussi pressé de mettre ses troupes en route qu’il semblait résolu tout à l’heure à ne pas troubler leur repos ; son parti pris, il a hâte d’en finir avec ce défilé devant le camp de M. le Prince; d’ailleurs, puisqu’il faut marcher, il tient à s’assurer de bons quartiers et un logement tout prêt. L’armée impériale a l’avant-garde ; son bagage part dans la nuit sous escorte; en tête marche M. de Fariaux, major- général au service de Hollande, avec deux mille chevaux fournis par les trois armées. Le feldzeugmeister lui donne un peu d’avance, puis s’achemine avec ses troupes. C’est le bruit causé par cette mise en train qui avait tout d’abord attiré l’attention de Saint-Clas.

  1. Ce terrain est compris dans la partie la plus animée du bassin de Charleroy: les noms aujourd’hui si connus de Manage et de La Louvière pourraient figurer sur un plan de ce champ de bataille.