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et des conséquences. Mais son caractère se modifie, ses anciens cadres se disloquent, les profanes envahissent en foule son domaine ; on la voit peu à peu se transformer en un immense répertoire de statistiques, où ses adeptes exercent leur sagacité sans épuiser une matière dont la masse, grossie indéfiniment, commence à défier la capacité du cerveau le plus encyclopédique.

Thorold Rogers, professeur d’économie politique à l’Université d’Oxford, infatigable remueur d’objections contre les doctrines en vogue ou devenues classiques, ennemi des économistes du type Ricardo et Malthus ? auxquels il opposait l’économiste moderne, un obstiné travailleur en statistiques compliquées, comme M. Giffen, s’est efforcé de substituer à la science spéculative, dite économie politique, un certain art patient et érudit d’interpréter les faits dans l’histoire au point de vue économique, c’est-à-dire dans leur rapport avec les conditions de la vie matérielle des hommes et des nations.

Cette vue de Rogers est d’autant plus applicable aux faits présens qui constituent l’histoire en formation, que la politique pure a commencé de céder le pas, à peu près dans le monde entier, à l’économie politique. Non pas que les grandes questions morales, les problèmes élevés, ne gardent leur ancienne primauté. En Europe, la lutte de la libre pensée contre les religions, l’éclosion des aspirations et des sectes subversives de l’état social, l’opposition entre la triple alliance et l’entente franco-russe restent le substratum de la vie et de la pensée politiques. Mais à la surface combien d’autres sujets, d’ordre exclusivement économique, provoquent et absorbent l’attention des gouvernemens et des gouvernés !

L’Allemagne a débuté dans sa carrière impériale par une révolution monétaire, la démonétisation de l’argent. Elle a réformé son système de banques, réalisé l’utopie de l’exploitation des chemins de fer par l’Etat. Elle a versé dans le protectionnisme à outrance, pour revenir depuis deux années à la politique des traités de commerce. Elle se débat depuis quinze ans contre le déficit et a dû créer une dette impériale ; elle travaille à bouleverser tout son système d’impôts.

L’Autriche-Hongrie a réussi au contraire dans cette période à sortir du gâchis financier où elle était restée si longtemps embourbée. Du déficit elle a émergé à l’équilibre, puis à l’excédent, et elle s’est engagée dans cette grande aventure, la réforme de la valuta. Absorbée par ses accumulations de métal jaune, elle semble presque se désintéresser du sort de l’alliance où elle était entrée naguère par précaution.