ce qui vient de naître, c’est une littérature personnelle d’un caractère très particulier. C’est une littérature personnelle qui suppose derrière elle et qui contient encore toute une littérature impersonnelle qu’on n’a pas voulu qui se répandît. C’est une littérature personnelle qui est savante et profite de sa science, mais sans vouloir la montrer, et sans même en avoir trop conscience, et qui s’est mise en état de pouvoir en profiter inconsciemment. C’est bien un moi qu’elle exprime, mais un moi qu’elle a pris soin d’enrichir, de munir et d’ensemencer. Le classicisme commence où l’humanisme finit, à la condition qu’il ait existé; comme l’humanisme commence où l’alexandrinisme finit à la condition qu’on ait commencé par lui. L’alexandrin est un scolaire qui n’a pas eu le temps ou la puissance de devenir humaniste ; l’humaniste est un alexandrin qui n’a pas eu le temps ou la puissance de devenir un classique.
On a tenté bien souvent une définition du classique, et il est certain que le classique est un personnage assez complexe pour que la définition en soit difficile, et ce lui est un honneur qu’il soit malaisé de le définir. En général on s’en tire par une définition indirecte qui consiste à dire qu’un classique est un auteur devenu scolaire ou destiné à le devenir ; mais cette désignation, pour être appliquée, demande l’épreuve du temps et l’on ne peut savoir si un auteur est un classique que par le long usage fait de lui après sa mort. — Je ne risquerai pas une définition ; mais je dirai quels sont, selon moi, les principaux caractères de l’auteur classique. Le classique doit réunir en lui des qualités et surtout des facultés qui chez les talens ordinaires sont opposées jusqu’à s’exclure. Il doit avoir une très forte personnalité et écrire des œuvres qui ont un caractère à peu près impersonnel ; il doit être national, c’est-à-dire de son temps et de son pays, très fortement, et écrire des œuvres qui aient un suffisant caractère de généralité, d’humanité, pour qu’elles puissent et doivent être lues de tous les peuples dans tous les temps ; il doit être savant ; et l’on peut être sûr que, si son œuvre paraît savante aux yeux, surtout paraît « scientifique », la gloire d’auteur classique ne s’attachera jamais à son nom ; il doit être original, apporter avec lui une manière vraiment nouvelle de sentir; et il faut pourtant que cette manière, encore que nouvelle, soit accessible et abordable, sinon à tout le monde, c’est ce qu’on ne me fera jamais dire, du moins aux élites successives de l’humanité, c’est-à-dire, les générations très différentes d’esprit et de mœurs se succédant indéfiniment, à une foule, à une foule très intelligente et très exercée aux choses intellectuelles, mais à une foule.
Reprenons. Il doit avoir une très forte personnalité : la chose