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vraie réponse à faire était que le patriotisme littéraire consiste à enrichir sa patrie d’une beauté littéraire nouvelle. Les adversaires des romantiques n’étaient que des humanistes de déclin, de ces humanistes qui étudient pour les imiter les chefs-d’œuvre littéraires du pays dont ils sont, des Silius Italiens ou des Rutilius.

Tel est l’humanisme sous sa forme ordinaire tant au commencement qu’au déclin des littératures. Mais, du reste, et sans que nous songions à épuiser la matière, il y a des humanistes de bien des sortes. Il y en a par exemple qui sont exclusifs et d’autres qui sont synthétiques. Il y en a qui bornent leur étude et qui limitent leur culte à une seule littérature et même, dans une littérature, à une seule époque. Horace, en tant qu’humaniste (il est par surcroît bien d’autres choses) semble bien avoir concentré son admiration et son imitation sur les seuls lyriques grecs de l’époque classique, Alcée, Sapho, etc. Il écarte Pindare, par excès d’admiration et commencement de terreur, il écarte les alexandrins, peut-être dans un autre sentiment. Il est exclusif parce qu’à la fois il a le goût très délicat et une prudence très circonspecte. Je ne m’aventure pas sur ce terrain difficile à tout le monde, vu la rareté des textes grecs, et particulièrement à mon incompétence; je puis dire, puisqu’il s’agit d’Horace, que j’y rencontre ignes suppositos cineri doloso ; mais il me semble bien qu’Horace est un humaniste d’un genre unique, ou à peu près. Un humaniste est quelquefois un collectionneur. Il se cantonne dans le commerce d’une génération littéraire ou d’une époque littéraire, ou d’une école littéraire, comme d’autres dans la familiarité d’une catégorie spéciale de coquillages, ou dans l’ameublement de telle époque. L’amateur de tulipes ou l’amateur de prunes de La Bruyère se retrouve très bien dans le monde littéraire, et tel dilettante se rencontrera qui ne voudra point sortir du pur Louis XIII, comme tel expert en meubles ne voudra pas sortir du pur Louis XVI. Le tout dans ce cas est de bien choisir l’objet de sa prédilection, et on ne saurait dire qu’Horace ait choisi mal. Comme on le voit par ses jugemens sommaires et ses exécutions, sommaires aussi, des écrivains latins, il est à croire qu’il avait le goût très difficile et très dédaigneux, mais très juste du reste, et il était quelque chose comme un pococurante qui aurait fait cinq ou six exceptions et qui aurait aimé d’autant plus vivement ce qu’il aimait qu’il méprisait franchement tout le reste.

D’autres humanistes ont l’humeur plus éclectique, et par exemple, — et c’est ce que M. Lafaye a très fortement mis en lumière, — Catulle ne limite point son admiration à une seule époque de la littérature grecque. On le prend à l’ordinaire pour un simple admirateur des alexandrins. Il l’est, mais il est autre chose,