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qui étaient d’abord, et surtout, littérature personnelle et originale, on ne l’aura jamais assez répété, mais qui étaient aussi imitateurs de l’étranger, et qui étaient aussi humanistes à leur manière, c’est- à-dire imitateurs du moyen âge, et encore, un peu, imitateurs du XVIe siècle, créèrent une littérature dont le principal caractère était de rompre avec les traditions du XVIIe et du XVIIIe siècle, les traditionnels, qui s’appelaient classiques, leur reprochaient amèrement de n’être point patriotes, de renier les gloires les plus pures et les plus éclatantes de notre littérature nationale, de ne point faire preuve d’admiration pour Corneille en l’imitant, de ne point montrer leur goût pour Malherbe en le contrefaisant, et de ne pas faire profession de culte pour Racine jusqu’à être des Campistron. « Voltaire alors régnait » dans le camp des classiques, non point tant pour ses audaces, qui même en littérature sont réelles, encore qu’intermittentes, que pour ses timidités, que parce qu’il avait été, souvent, comme hypnotisé par les souvenirs du grand siècle de Louis le Grand, que parce qu’il avait cru qu’il qu’il n’y avait guère autre chose à faire qu’à imiter discrètement les grands auteurs du XVIIe siècle dans les genres où ils avaient brillé, quitte, du reste, si l’on pouvait, à en inventer d’autres. Et c’était toujours Voltaire qu’on opposait aux novateurs. Un si grand homme a bien été traditionnel ! Un si grand homme a eu moins de confiance que vous en ses propres forces !

Entre les répliques très nombreuses que les romantiques pouvaient faire, ils auraient pu, relativement au grief d’anti-patriotisme, faire celle-ci qu’eux-mêmes étaient humanistes et traditionnels d’une certaine sorte, puisqu’ils remontaient au moyen âge et se réclamaient du XVIe siècle, et c’est en effet ce que Sainte-Beuve en ses commencemens et quand il était encore comme au service du romantisme, s’est attaché à démontrer à plusieurs reprises. Mais, encore qu’en partie légitime, au moins comme argument de polémique, cette défense valait assez peu. Au fond, et ils le sentaient ne fût-ce qu’à leur ignorance, ne fût-ce, si l’on préfère, qu’à leur peu de goût pour les études livresques et le maniement des textes, les romantiques étaient surtout littérature personnelle, et leur moyen âge était bien conventionnel, et leurs prétendus rapports avec le XVIe siècle n’étaient qu’une erreur, une erreur presque absolue, le XVIe siècle étant plus que tout autre littérature d’imitation, et littérature d’imitation de l’antique, ce que le romantisme était aussi peu que possible, et le XVIe siècle étant le vrai père de toute cette littérature classique du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle qui était celle avec laquelle le romantisme rompait. Le reproche qui consistait à dire que les romantiques n’étaient point patriotes parce qu’ils n’étaient pas traditionnels restait donc vrai. La