Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honneur, et ce ne serait rien, pour remettre, pour ainsi parler, en actualité et en activité littéraire, en influence à son tour fécondante et rénovatrice les premiers maîtres de l’art.

Pour leur donner leur vrai nom, les alexandrins de tous les temps sont des critiques qui ont un peu de génie créateur et des historiens littéraires qui sont en même temps des artistes. Ils sont excellens, à ce titre, pour faire revivre le passé et y ramener les esprits, non en simples curieux, et c’est une chose froide et assez stérile que la curiosité, mais en admirateurs passionnés et dévoués, ce qui est tout autre chose et infiniment précieuse. Quand Victor Hugo écrit ses Eviradnus et ses Aymerillot, il fait œuvre d’alexandrin; il est un homme, peu savant par lui-même à la vérité, mais séduit et excité par les travaux scientifiques qui ont été faits récemment sur le moyen âge, et y ajoutant son génie, renouvelant l’art des anciens trouvères, faisant leur œuvre dans l’esprit où ils l’ont faite, et avec la perfection de forme qu’ils auraient dû y mettre ; il rend d’un seul coup un plus grand service aux études d’art médiéval que tous les experts et savans professionnels qui en ont écrit. — Et voyez comme, dans cet exemple récent, partant plus clair et plus facile à saisir, l’art et la science concourent sans se concerter, et se donnent mutuellement appui et secours. Une partie considérable de l’art romantique, nonobstant le caractère de littérature éminemment personnelle que le romantisme a eu et gardé longtemps, une partie considérable de l’art romantique a eu la marque alexandrine. Les romantiques se sont dès l’abord épris du moyen âge, sous l’influence, extraordinaire à cette époque, de Walter Scott et de Macpherson. Mais leur moyen âge était un moyen âge très conventionnel, très vague, très superficiel et très frivole, un moyen âge de romance. Seulement ils en ont donné le goût; c’est d’eux qu’est parti le mouvement scientifique si considérable qui a eu le moyen âge pour objet, et, en retour, les études sur le moyen âge une fois faites et poussées assez loin, voilà, vers 1850, que ces travaux et investigations ramènent Victor Hugo et quelques autres au moyen âge encore, mais à un moyen âge mieux connu, vu plus précisément et plus près des textes. Ceci est exactement de l’alexandrinisme : le concours et le concert de savans et d’artistes, tantôt savans et artistes se donnant la main et se passant leurs notes, tantôt savans et artistes se confondant dans le même homme, le tout en vue de reconstituer, de faire revivre et d’illustrer une partie importante, oubliée ou méconnue ou négligée ou qui menace de l’être, de l’histoire de l’art.

Voilà, en ses traits généraux, ce qu’est l’alexandrinisme. Cet