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œuvres autorisées amènera certainement notre nouvelle école à vivre pour ainsi parler de reflets, de réverbérations, d’airs empruntés et de physionomies apprises. Les hommes dont nous parlons, ce sont les alexandrins.

Ce sont gens infiniment lettrés et très artistes ; mais qui sont avant tout des savans. Ils ne croient pas qu’il soit très nécessaire de penser par soi-même quand tant d’hommes de génie ont si bien pensé, et, depuis si longtemps qu’il y a des hommes et qui pensent, ils estiment qu’il suffit de penser à nouveau, par une sorte de méditation sur les textes, ce qui a été si bien pensé autrefois. C’est le relâche de la littérature personnelle. C’est une halte, qui, sans doute, est utile, où la littérature fait le compte de ses richesses et ne met son soin et son art qu’à les placer dans un plus bel ordre, ou simplement dans un ordre nouveau. Cet ordre nouveau est exception encore, étant choix d’abord, disposition ensuite, expression enfin. L’application qu’on met à le réaliser est même un merveilleux exercice pour l’esprit humain et infiniment salutaire. Mais enfin c’est un relâche. L’originalité, si l’on veut, se déplace pour se délasser. Elle était au fond, elle se réduit à se jouer à la surface: elle créait, elle arrange; elle produisait, elle perfectionne, ou croit perfectionner. Art très amusant du reste, et j’irai jusqu’à dire plus instructif que l’autre, formant matière plus riche d’enseignement littéraire. Car en présence d’un auteur alexandrin, il faut étudier d’abord lui, et puis tous ceux, autant qu’on le peut, qu’il a étudiés lui-même, et enfin les rapports et les différences entre eux et lui, et les poètes de ce genre obligent, pour être connus, à connaître tous ceux qu’ils ont eux-mêmes connus et pratiqués. Et c’est ainsi que les auteurs originaux se placent tout naturellement dans ce que nous appelons l’enseignement secondaire, à commencer par Homère, et les auteurs alexandrins tout naturellement aussi dans l’enseignement supérieur.

A un autre égard aussi ils sont essentiels. Non seulement les récapitulations sont utiles en choses d’art pour que le trésor ancien ne tombe pas en oubli et en une sorte de mépris nonchalant, mais les retours, les régressions le sont aussi pour que le sens du primitif ne se perde point. Il est utile qu’il existe des préraphaélites pour mieux comprendre Raphaël. Les alexandrins sont les préraphaélites de la littérature. Il est assez probable, quoique je n’en sache rien, mais je le gagerais, qu’à l’époque alexandrine Euripide, dont on sait que la gloire fut immense et le prestige universellement victorieux, avait un peu fait perdre de vue Eschyle, Hésiode et peut-être Homère lui-même. Il était très bon que les alexandrins revinssent en arrière pour remettre en