Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Etudions donc un peu l’alexandrinisme, c’est-à-dire une des tournures d’esprit dont sont coutumiers les naturels de ce pays-là.

L’alexandrinisme n’est pas un genre, c’est un état d’esprit, c’est, à ce qu’il me semble, la tendance à un repos relatif après une période d’agitation. On pourrait appeler les périodes littéraires où l’alexandrinisme règne les momens de repos de la littérature personnelle, en prenant littérature personnelle dans un sens un peu plus large que celui où nous l’employons habituellement. Homère, Eschyle, Sophocle, Aristophane, Euripide, Pindare écrivent ou chantent leurs admirables poèmes. Certes, ils ne sont point personnels dans le sens que nous donnons à ce mot. Rien n’est plus étranger même à la littérature antique, surtout grecque, que le goût d’être très apparemment soi-même, de se distinguer formellement par une invention ou une nouveauté dans l’allure et la démarche. Tout au contraire, ces artistes semblent avoir aimé à suivre la voie tracée, à se conformer aux habitudes prises par l’art qu’ils cultivaient, et rien n’est plus traditionnel et lentement évolutif que l’art littéraire grec. Cependant, ceux que j’ai nommés sont personnels en ce sens qu’ils suivent, mais n’imitent point, n’étudient pas des « modèles » pour s’en inspirer. Ils sont traditionnels, mais ne sont pas scolaires. Ils prennent l’art au point où l’a laissé le prédécesseur, mais ne semblent pas compulser le prédécesseur immédiat où éloigné pour lui dérober ses secrets. Ils acceptent docilement les lois générales, et même assez particulières de l’art, mais non point le patronage et la discipline des artistes qui les ont précédés, et, d’un mot, ils sont héritiers, non imitateurs. Voilà dans quel sens j’entendais littérature personnelle tout à l’heure.

Cette littérature finit par se fatiguer, sinon s’épuiser. Alors, et ceci se place trois cents ans au moins environ avant Jésus-Christ, viennent des gens, qui certes, et M. Lafaye l’a très bien remarqué et non moins bien dit, se piquent très précisément d’être « modernes » et de créer une littérature toute nouvelle ; mais en procédant par l’étude scrupuleuse, diligente, cette fois, et détaillée et minutieuse des grands poètes des siècles passés, de sorte qu’ils sont, relativement à ceux dont nous parlions tout à l’heure, moins traditionnels et plus imitateurs. Moins traditionnels, car ils ne prennent point l’art au point où il se trouve chez leurs prédécesseurs immédiats ; mais ils interrogent l’art ancien tout entier, d’où il suit que ce qu’ils feront pourra être extrêmement différent de ce qui les précède immédiatement, et c’est en effet ce qui est arrivé: — plus imitateurs; car ce soin minutieux, que n’avaient pas les classiques, d’étudier savamment les grandes