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Davout, l’un des plus éclairés parmi les maréchaux du premier Empire, pressentait un danger de ce côté. En 1811, il se plaignait de l’esprit de la littérature allemande. Il signalait surtout les doctrines des professeurs de Berlin, dangereuses, disait-il, pour l’ordre social, et contraires à l’esprit du gouvernement français. Lui seul avait senti qu’en inaugurant l’université de Berlin, les Allemands avaient inauguré l’un des premiers monumens de leur patriotisme naissant[1].


VI

En 1810 toutefois, l’on était beaucoup moins frappé de ce que Scharnhorst et Humboldt avaient pu faire d’utile que de l’impuissance manifeste du ministère et de l’incapacité apparente de Dohna et d’Altenstein. La proposition de céder la Silésie à la France était un sacrifice inutile et un expédient injustifiable. Le roi en avait été très vivement irrité, et son irritation était facile à exploiter. Les programmes financiers de Hardenberg et d’Altenstein étaient inconciliables et plus encore leurs deux personnalités. Il semble cependant que ceci n’explique pas à soi seul la chute du ministère et que quelque obscurité demeure. On ne saurait s’en étonner.

La dissimulation est la dernière ressource des opprimés. Sans croire que la conspiration patriotique ait eu l’étendue et le caractère que les Français ont été portés à lui attribuer quelques années plus tard, il est permis de penser que le faisceau n’en avait point été rompu complètement par les déceptions successives de 1808 et de 1809. Le parti insurrectionnel, tout réduit qu’il fût, n’avait certainement point abandonné les desseins qu’il était plus que jamais condamné à voiler. Bien que l’on ne retrouve point son action durant la crise ministérielle, il est difficile d’admettre qu’il soit demeuré indifférent ou inactif.

A qui allait passer la direction des affaires prussiennes ? Aux hommes qui voulaient accepter sans arrière-pensée la suzeraineté de l’Empire français, ou à ceux qui voulaient réserver l’avenir ? Ce débat valait bien au moins la querelle entre les personnalités rivales et les programmes financiers.

L’ambassadeur français s’en préoccupait. Saint-Marsan, qui représentait la France, était un Piémontais ; les historiens allemands lui attribuent des tendances fort anti-bonapartistes et des sympathies secrètes pour la Prusse, mais c’était un agent docile[2]

  1. Correspondance du Maréchal Davout, publiée par Ch. de Mazade.
  2. A. Storn. Abhandlungen und Aktenstücke zur Geschichte der preussischen Reformzeit, 1807-1815 ; IX. Preuszen und Frankreich, 1809-1813. Urkundlïche Mittheilungen aus dem Archive des Ministeriums der auswärtigen Angelegenheiten zu Paris. — Maxt Duncker, Abhandlungen zur preussischen Geschichte, Preussen während der französischen Okkupation.