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souffrante sans doute, mais non du moins sans recours contre la souffrance. Et qui sait ? L’homme s’imagine longtemps qu’il fait œuvre d’esprit viril en faisant montre d’esprit fort : il ne se confie qu’à sa raison dont il est fier, et ne croit qu’à la science dont il est vain, jusqu’au jour où, frappé par beaucoup de ruines et surpris de s’être trouvé débile quand il se croyait sûr de son courage, il s’abandonne à celle qu’il a reconnue meilleure que lui afin qu’elle le ramène à Dieu…

L’Introduction à la vie dévote n’est pas seulement un livre du XVIIe siècle. C’est encore un livre d’aujourd’hui. Il n’a pas cessé d’être dans beaucoup de mains. Tandis que presque tous les livres de piété, dont peut-être faut-il excepter un traité de Bossuet et quelques lettres de Fénelon, n’appartiennent plus qu’à l’histoire des lettres ou à l’histoire de la religion, le livre de saint François continue d’initier à la spiritualité celles qui y aspirent et qui en sont dignes. Il est encore efficace et salutaire. Il agit et il vit. Or on sait qu’à mesure qu’ils vivent les livres se transforment et s’enrichissent. Les œuvres de l’esprit reflètent les esprits par où elles passent. Nous ne les voyons plus seulement en elles-mêmes, mais aussi à travers les émotions et les sentimens qu’elles ont éveillés. C’est pourquoi peut-être était-il impossible de parler du livre de saint François sans quelque prévention favorable et sans une sorte de tendresse. C’est qu’à travers ses pages flotte un peu de l’âme de toutes ces femmes qui depuis trois siècles les ont méditées, — des plus distinguées d’entre nos femmes et des meilleures.


RENE DOUMIC.