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s’émurent du succès d’un livre qui allait recommandant une dévotion aisée. Et on a pu dire qu’il y avait une sorte de filiation de l’auteur de l’Introduction à Fénelon, et par-delà jusqu’aux philosophes du XVIIIe siècle. La question est trop grave et elle va trop loin pour qu’on songe ici à l’examinera fond. Je me borne à présenter quelques remarques, non certes pour justifier ce « docteur de l’Église », qui n’a pas besoin qu’on le défende, mais pour faire mieux entendre la véritable signification de son œuvre. Car d’abord on se tromperait étrangement si l’on croyait que pour avoir prêché la dévotion aux gens du monde il se soit résigné à leur recommander une dévotion mondaine. Il n’en est rien. François de Sales n’est pas de ceux qui diminuent, qui amoindrissent et qui abaissent la dévotion afin de la faire passer. Il n’est pas de ceux qui mettent des coussins sous les coudes des pécheurs. S’il tient compte de notre faiblesse, il ne lui fait pas de concessions. Il ne faudrait pas ici se laisser tromper par l’agrément de la forme et par la douceur insinuante du langage. En lisant les lettres de François de Sales à Mme de Chantal, on s’aperçoit aisément qu’il n’était pas un directeur indulgent. Mais d’ailleurs il suffit pour s’en convaincre de lire avec quelque attention l’Introduction à la vie dévote. Il n’admet sur aucun point de défaillance ; il ne compose pas avec nous, et, bien loin d’affaiblir le ressort de la volonté, ce qu’il demande et ce qu’il exige, c’est un effort de tous les instans et c’est une continuelle surveillance. Nul n’a vu mieux que lui les dangers de la contemplation. Nul n’a raillé d’une façon plus implacable je ne sais quel sentimentalisme religieux et quelle dévotion larmoyante. Nul ne s’est élevé avec plus de force contre les surprises de l’imagination et des sens. La piété qu’il recommande est une piété raisonnable, et saine, et bien portante. — Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que l’auteur de l’Introduction s’adresse à tout le monde et qu’il désire amener à la pratique d’une vie religieuse le plus grand nombre de personnes possible. Cela même déterminait par avance le caractère de son enseignement. Ils ne sont pas nombreux ceux qu’attirent les rigueurs de l’ascétisme, et il faut s’attendre à ne réunir que peu de gens quand on les invite à chercher Dieu en gémissant. Au lieu de désespérer le pécheur par le spectacle sans cesse renouvelé de son impuissance, peut-être le moyen est-il plus efficace qui consiste à lui faire prendre conscience des meilleures inclinations qui sont en lui, afin de les développer par là même et de les fortifier. — Sans doute il serait tout à fait à souhaiter qu’on pût parler aux hommes du devoir seulement et point de la récompense, de la vertu toute seule et point du bonheur. Hélas ! c’est l’infirmité de notre condition que nous ne rencontrions jamais le bonheur et que nous y aspirions toujours. En vain la religion a déplacé cet objet de tous nos rêves et elle l’a rejeté dans