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saint François, se sont fait de sa manière un procédé, autant elle est vaine quand il s’agit de l’auteur de l’Introduction à la vie dévote. Car chez lui il n’y a pas même l’apparence d’un procédé : il se laisse aller à sa pente naturelle, il s’y abandonne ; et c’est tout ce qu’on peut lui reprocher. Il déclare qu’il ne fait pas profession d’être écrivain, et il est vrai que nul n’eut moins que lui de vanité littéraire. Il sait quel est le défaut qu’un goût sévère pourrait reprendre dans son style : c’est ce surcroit d’images ; au moment qu’il l’avoue il y ajoute une image nouvelle, et non pas la moins charmante : « Ce sont des surcroissances qu’il n’est presque pas possible d’éviter à celui qui, comme moi, écrit entre plusieurs distractions. Mais je crois bien pourtant que rien ne sera sans quelque sorte d’utilité. La nature même, qui est une si sage ouvrière, projetant la production des raisins, produit quant et quant, comme par une prudente inadvertance, tant de feuilles et de pampres qu’il y a peu de vignes qui n’aient besoin en leur saison d’être effeuillées et esbourgeonnées[1]. » Pour lui il n’a jamais effeuillé ni esbourgeonné ses phrases. Il ne s’est pas soucié de réformer son imagination ; il l’a acceptée telle qu’elle était en lui. C’est celle même de tous les mystiques, qui aperçoivent entre le monde extérieur et le monde spirituel d’intimes correspondances et une mystérieuse harmonie. Son ami l’évêque de Belley nous conte qu’il avait coutume, à propos de tous les spectacles de la nature, de se reporter vers les choses de l’âme et de la religion. Dans le livre de la nature, ce qu’il lisait c’était la pensée du Créateur : à vrai dire, le monde matériel n’était pour lui qu’un symbole de l’autre. C’est pourquoi par un semblable retour il passait sans effort des sentimens à leur transcription imagée. Le merveilleux ne lui était pas suspect, et il ne s’étonnait pas de rencontrer des miracles dans cette création qui n’est elle-même qu’un grand miracle sans cesse renouvelé. Il découvrait partout le miracle, comme font les enfans et les véritables croyans. C’était chez lui un effet de « cette incomparable candeur et simplicité qui fait un de ses plus beaux caractères[2]. » Et c’est par là que se retrouve l’exacte convenance entre le caractère de son style et celui de sa foi, entre son imagination et son cœur.

Par un autre côté, et par là plus encore que par son style, François de Sales est un écrivain du XVIIe siècle : c’est par son tour d’esprit de moraliste. Il avait lu Montaigne ; il établit la transition entre lui et ceux qui plus tard écriront des Pensées, des Maximes et des Caractères. Il a d’abord le goût de l’observation mondaine. Il observe les figures et les attitudes, le train des conversations et des usages. Il sait à quelles frivolités s’attache l’honneur du monde : « Il y en a qui se rendent fiers et

  1. Préface du Traité de l’Amour de Dieu.
  2. Bossuet, Instruction sur les états d’oraison, VIII, I.