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colonies, le danger d’y aller sans capitaux et la difficulté d’y réussir. Il pourrait même davantage : se faire présenter ces émigrans, les interroger sur leurs projets et leurs ressources, et parfois prendre sur lui de leur donner des conseils et, même, suivant leurs réponses, de leur faire modifier leurs plans.

Ce bureau de l’émigration aurait bientôt une autre utilité. Le fonctionnaire qui le dirigerait se lasserait de répondre toujours à ces infortunés qu’il n’y a pas de place pour eux dans des colonies conquises par leurs fils et subventionnées avec leur argent. Il se mettrait à étudier, de ce point de vue, l’utilisation de notre domaine colonial. Lancé sur cette piste, il ne tarderait pas à découvrir de vastes espaces, qu’il ferait peu à peu attribuer à la colonisation libre. Pour commencer, il chasserait les forçats de la Nouvelle-Calédonie, et peuplerait d’honnêtes citoyens français, qui y feraient souche, la seule jusqu’ici de nos colonies où l’Européen puisse travailler et fonder une famille.


Après les commerçans, après les émigrans, une troisième classe de personnes recourrait encore au bureau d’informations : ce sont les hommes d’Etat et les hommes d’étude.

Ceux qui s’occupent des colonies et prétendent se faire une opinion raisonnée sur leur situation, savent l’embarras qu’on éprouve à obtenir des documens dignes de foi. C’est même un curieux phénomène que, sous un gouvernement d’opinion, il soit si difficile de se renseigner sur des colonies au sujet desquelles l’opinion précisément se montre si soupçonneuse. Les Journaux officiels et les Bulletins des colonies publient bien les textes législatifs et quelques menues statistiques ; mais les renseignemens de quelque étendue, les renseignemens politiques, financiers, commerciaux, où les trouver ? Dans les annuaires ? C’est insuffisant. Il appartient à l’administration centrale des colonies de faire la lumière. Elle avait jadis beaucoup promis : cartes, croquis, statistiques, rapports commerciaux ; elle n’a presque rien donné. Ses statistiques sont ce que l’on peut imaginer de plus décevant : elles paraissent tardivement, ne sont pas exactement comparables d’année à année et renferment passablement de chiffres suspects. Quant aux renseignemens commerciaux dont on avait, sous l’administration de M. Etienne, inauguré la publication dans le Journal officiel, c’était quelque chose assurément ; mais ce quelque chose, — que d’ailleurs on a depuis lors supprimé, — ne fournissait que des informations éparses et fragmentaires. Ce qu’il nous faut, ce sont des publications, régulières, rédigées sur un plan uniforme, comme en ont les Hollandais et les Anglais.