rapporte au ministre de la Justice. Et, pour le personnel, a-t-il besoin de magistrats ? qu’il les demande au garde des sceaux. D’ingénieurs ? Aux Travaux publics. De soldats ? A la Guerre. Les choix ainsi faits seront excellens ; son administration sera soulagée, et le budget y trouvera son compte.
M. Boulanger, administrateur plein de droiture et financier plein de sévérité, pourrait se laisser prendre à ces argumens captieux. On peut lui affirmer, avec, derrière soi, l’expérience de tous les peuples colonisateurs, que ce système, qui, de son vrai nom, s’appelle le « système des rattachemens », est inefficace, coûteux et, à tous égards, détestable.
Le ministère des Colonies doit avoir ses services à lui, les organiser lui-même et lui-même pourvoira leur recrutement. J’ai quelque pudeur à revenir sur un sujet si longuement étudié ici-même[1]. Mais sur ce point capital et à cette heure décisive, je voudrais essayer de faire partager à l’organisateur du ministère des Colonies des convictions lentement acquises et solidement échafaudées.
Qu’il se garde de continuer à gouverner et à administrer les colonies avec des fonctionnaires détachés des services de la métropole. Ces services ne lui céderaient que leurs sujets les plus médiocres[2] ; et parvînt-il à leur arracher les plus éminens, qu’il pourrait encore n’avoir pas à s’en louer. Un fonctionnaire préparé pour la métropole ne saurait convenir aux colonies. A cet égard, l’expérience des Anglais et des Hollandais ne laisse place pour aucune hésitation.
Choisissez, parmi les meilleurs, un magistral d’Europe et transportez-le aux colonies : des années se passeront avant qu’il vous y rende les services que ses talens vous promettaient. Pourquoi ? parce qu’il ignore les lois, les coutumes, les préjugés, et jusqu’à la langue de ses justiciables. Un meurtre est commis ; vous en connaissez le théâtre ; vous en tenez l’auteur ; vous possédez des témoins oculaires ; rien n’est plus facile que d’arriver à une condamnation. Du moins cela nous apparaît ainsi, à nous autres Européens. Mais allez aux Indes : tout cela est changé. Le major général, sir W. H. Sleeman, raconte à ce propos l’anecdote suivante[3].
- ↑ Voir la Revue des 15 décembre 1891, 1er janvier et 15 avril 1892.
- ↑ Je tiens de source certaine le propos que voici. Un procureur général demandait la révocation d’un magistrat concussionnaire. Le directeur du personnel lui dit : « Le révoquer, non ! mais, à la première vacance, nous l’évacuerons sur les colonies. » Le directeur était dans les traditions de la chancellerie.
- ↑ Humbles and recollections of an Indian official, 2 vol. Constable, Londres, 1893, t. I, 97 à 111 et 242-3.