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En ce qui concerne ce qu’on appelle le « moral » du cheval, il serait très désirable que les savans, physiologistes et psychologues, nous lissent enfin connaître la vérité ; mais en attendant qu’ils se mettent d’accord, ce qui vraisemblablement n’arrivera pas de sitôt, il me paraît raisonnable de rester tout au moins dans le doute, d’agir par conséquent comme si l’animal cédait fatalement, machine vivante, à toutes les sensations physiques qu’il reçoit des objets environnans, et de ne pas se préoccuper des réflexions qu’il peut ou ne peut pas faire. Ce parti sera d’autant plus sage que, de même que je délie qu’on cite un seul fait expérimental prouvant que le cheval ait un degré quelconque d’intelligence, je défie qu’on me cite dans tous les ouvrages hippiques, même dans ceux dont les auteurs ont accordé au cheval le plus d’intelligence, un seul exemple d’un mouvement déterminé à l’aide d’un moyen autre qu’une sensation physique. Tous les procédés de dressage, le prétendu langage conventionnel établi entre le cavalier et l’animal, consistent invariablement dans les moyens mécaniques, ainsi que l’ont reconnu formellement beaucoup de maîtres dans différens passages de leurs livres ; tout se réduit en somme à la fameuse formule : « Tirez dessus et tapez dedans » qui, bien comprise, résume d’une manière pittoresque toute la science du cavalier, mais dans laquelle malheureusement les ignorans cherchent l’excuse de toutes les brutalités.

Si l’on admet qu’il soit possible que l’animal n’ait pas conscience de ses actes, on doit nécessairement supprimer tout châtiment et n’employer le caveçon, les éperons et la cravache, que pour produire des sensations proportionnées non pas à la gravité de la prétendue faute commise, mais à la seule sensibilité de l’animal. Ce qui est certain, en effet, c’est que les chevaux ont un système nerveux plus ou moins impressionnable, contractent rapidement des habitudes très diverses selon les impressions différentes qu’ils ont reçues, et qu’il dépend entièrement du dresseur de faire naître telles ou telles habitudes en produisant telles ou telles impressions et en évitant avec le plus grand soin toutes celles qui pourraient avoir des effets opposés à ce qu’il se propose. Aussi, avec La Guérinière, je pense que le premier dressage, le débourrage du poulain est ce qui a le plus d’importance ; et je ne crains pas d’affirmer que, si l’on ne provoque pas maladroitement de mauvaises habitudes, aucun cheval ne deviendra rétif.

Voilà donc deux premières règles établies :

1° Tout se fait en dressage, sans le concours de l’intelligence du cheval, par le moyen des sensations et des habitudes ;

2° Le dresseur doit connaître suffisamment le mécanisme des